Ministre des Finances d'Helmut Kohl du 21 avril 1989 au 27 octobre 1998, Theo Waigel est considéré comme le « père de l'euro ». Né en 1939 à Ursberg dans la région souabe de la Bavière, il a été propulsé en politique par le Parti chrétien-social bavarois (CSU), allié du Parti chrétien-démocrate allemand (CDU), dirigé à l'époque par Helmut Kohl. Après son doctorat en droit obtenu en 1967, Theo Waigel commence sa carrière comme assesseur du procureur au tribunal de Munich. Il travaille ensuite au ministère de la Justice, puis au ministère de l'Économie et des Transports bavarois. Chef des jeunes chrétiens-sociaux de Souabe et de Bavière, il entre dans les instances dirigeantes de la CSU en 1983 et prend la tête de ce parti en 1988, au lendemain de la disparition de Franz Josef Strauss. Theo Waigel se lance alors dans la politique nationale. C'est lui qui, en tant que ministre fédéral des Finances, pilote la mise en place de l'union monétaire, économique et sociale avec l'ex-RDA, autrement dit l'introduction du mark-ouest dans les cinq nouveaux Länder est-allemands. C'est lui, aussi, qui bâtit l'architecture de l'Union économique et monétaire européenne. Il serait, notamment, à l'origine des fameux « critères de Maastricht ». Réélu député au Bundestag en 1998, il laisse alors la présidence de la CSU à Edmund Stoiber. Il ne se représentera pas aux législatives de 2002 et entamera une reconversion dans le privé, comme avocat et consultant auprès de grandes entreprises. En bon Bavarois, Stoiber est marié à une ancienne championne internationale de ski, Irene Epple. Ce conservateur éclairé, connu pour son humour lapidaire, a obtenu en 1997 le prix du « dinosaure de l'année », attribué à des personnalités célèbres pour leur vision obsolète de la protection de l'environnement. Waigel est également l'inventeur de la formule « Club Med » pour désigner les États économiquement déficients de l'Europe du Sud. Gentiment ironique au départ, cette formule est devenue une arme aux mains des europhobes et eurosceptiques allemands. Theo Waigel lui-même condamne le laxisme dont a fait preuve l'UE vis-à-vis d'une Grèce qu'il considère comme largement responsable de la crise. On lui doit, enfin, le maintien de la politique de faible inflation sur laquelle reposent les bonnes performances de l'économie allemande depuis les années 1950. Une discipline que Berlin a tenté d'étendre à l'ensemble de la zone euro à travers le Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997. J.-P. P.
Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre, vous portez le titre de « père de l'euro ». Qu'est-ce qui vous a incité à baptiser de ce nom la monnaie européenne et comment vos partenaires ont-ils réagi ? Theo Waigel - Le terme ECU était imprononçable pour les Allemands. De plus, ils n'étaient pas disposés à abandonner le D-Mark pour un acronyme artificiel (1). Comme d'autres dénominations - taler, livre ou franc - se heurtaient à des résistances dans certains pays, l'idée m'est alors venue d'appeler la nouvelle monnaie européenne l'euro. Le premier auquel j'en ai parlé a été Helmut Kohl ; le second, mon collègue français de l'époque, Jean Arthuis. Celui-ci n'a pas été immédiatement enthousiasmé par ma proposition, mais il ne l'a pas rejetée. Au terme de longues discussions, le nom que je proposais a finalement été adopté au sommet du Conseil européen de Madrid (2). J.-P. P. - On entend souvent dire que la création de l'euro a été une concession que vous avez faite, Helmut Kohl et vous, à François Mitterrand en échange de la réunification de l'Allemagne (3)... Est-ce exact ? T. W. - Cette théorie, selon laquelle l'euro aurait été le prix à payer pour obtenir l'approbation - par la France et d'autres - de la réunification allemande est tout simplement fausse. Maints historiens et responsables politiques, jusques et y compris à l'Élysée, continuent à colporter cette légende ; mais le fait de la répéter ne la rend pas plus véridique pour autant. En 1990, la création d'une nouvelle monnaie relevait de l'utopie. Il fallait, pour cela, mobiliser une majorité des deux tiers au Bundestag et au Bundesrat. La vérité, c'est que personne ne pouvait anticiper une telle décision. J.-P. P. - Le passage à l'euro ne fut-il pas plus difficile pour les Allemands de l'Est que pour leurs compatriotes de l'Ouest ? T. W. - Effectivement, il n'a pas été simple pour les Allemands de l'Est de s'adapter à une nouvelle monnaie alors qu'ils venaient tout juste de troquer leur mark-est contre le mark occidental (4). J.-P. P. - N'aurait-il pas mieux valu attendre encore quelques années avant de lancer l'Union économique et monétaire ? En d'autres termes, l'introduction de l'euro n'a-t-elle pas été prématurée et précipitée ? T. W. - Je dirais, au contraire, que la mise en circulation de l'euro est le fruit d'un long processus. L'idée d'une monnaie unique européenne remontait aux années 1960. Les premières tentatives de coordination d'une politique monétaire européenne ont été finalisées dans les années 1970. En 1979, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt ont instauré le Système monétaire européen. La phase de préparation s'est donc étalée sur environ deux décennies. On ne peut pas dire que l'euro a été un prématuré ! J.-P. P. - Le mark était l'emblème de la République fédérale, le symbole de son succès économique. En adoptant l'euro, l'Allemagne n'a-t-elle pas vendu son âme ? T. W. - Le mark conférait aux Allemands un sentiment identitaire fort, mais il n'était pas leur âme. …
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