C'était au mois de décembre 2012. Le nord du Mali était depuis déjà de longs mois sous l'emprise de groupes armés affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), branche sahélienne de l'organisation d'Oussama Ben Laden. Les images montrant la violence et la cruauté de ceux qui étaient devenus les nouveaux maîtres d'un espace grand comme deux fois la France commençaient à faire le tour du monde. L'un de ces reportages, diffusé par la chaîne française France 2, présenta le témoignage d'un jeune homme, accusé de vol, amputé d'une main en vertu de la charia, rigoureusement appliquée par les hommes du Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), l'un des groupes de combattants se réclamant d'Aqmi. Exhibant son moignon, le supplicié livra un détail bien surprenant. Il raconta que ses bourreaux l'avaient préalablement anesthésié avec de la cocaïne. Pour ceux qui n'étaient pas au fait des dernières évolutions du trafic de stupéfiants à travers le monde, la présence de cette drogue dans une région aussi reculée du Sahel avait de quoi étonner. Pour les experts de la lutte antidrogue, en revanche, l'information n'était pas un scoop. Depuis longtemps, la région du Sahel était réputée pour être une importante zone de transit de la cocaïne sud-américaine. Aussi incongrue que l'idée puisse paraître, les organisations criminelles latino-américaines ont vu dans cette immense zone désertique, charnière entre l'Afrique subsaharienne et l'Afrique du Nord, une plateforme idéale permettant de stocker et de réacheminer leur marchandise vers l'Europe, destination finale de la drogue. Mali connection Dès 2008, différentes affaires ont révélé que le Mali devenait l'une des plaques tournantes africaines de la cocaïne. Cette année-là, les limiers de l'Office central contre le trafic illicite de stupéfiants (Octris) ont démantelé la « filière Bamako », un réseau bien huilé, basé en banlieue parisienne, animé par des caïds des « quartiers » qui recrutaient des jeunes au casier judiciaire vierge pour rapatrier la cocaïne vers la France (1). En mars de l'année suivante, un trafiquant de drogue grec, Andreas Tsakiris, était arrêté chez un complice malien dans la banlieue de Bamako pour son implication dans l'affaire du Junior, un cargo lesté de 3,2 tonnes de poudre blanche, intercepté un an plus tôt au large de la Guinée-Conakry. À ce moment-là, beaucoup croyaient encore que la cocaïne repartait dans des valises ou dans l'estomac des « mules » - ces passeurs qui transportent la drogue à bord d'avions de ligne vers les lieux de consommation. Les nombreuses arrestations de ces fourmis du trafic à l'aéroport de Bamako semblaient confirmer l'hypothèse. En réalité, des chargements importants de cocaïne avaient déjà commencé à emprunter un itinéraire a priori improbable : celui du nord du Mali. Le développement du trafic de drogue dans la zone sahélienne - d'abord le haschich marocain puis la cocaïne colombienne - a été facilité par l'essor préalable du trafic de cigarettes et de migrants. Comme ce fut le cas dans les années 1970 et 1980 en Colombie, les trafiquants de cocaïne et de haschich …
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