Il est, avec François Hollande, le copilote de l'opération Serval. Depuis le début de l'intervention militaire française au Mali, Jean-Yves Le Drian est en première ligne médiatique et diplomatique. Il est vrai que le ministre de la Défense s'était emparé du dossier malien dès son arrivée à l'hôtel de Brienne. Persuadé que la question du Sahel était plus importante que l'Afghanistan ou l'Iran, il n'avait cessé de plaider pour une action militaire rapide dans la région. Celle-ci devait protéger et renforcer l'État malien, menacé par les groupes islamistes armés qui, depuis fin mars 2012, occupaient le nord du pays et y faisaient régner la terreur. Il fallait aussi éviter que le Sahel ne devienne, à l'instar de l'Afghanistan en 2001, un repère pour djihadistes et un gigantesque camp d'entraînement pour apprentis terroristes, sous la houlette d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Il s'agissait, enfin, de réduire au maximum le risque terroriste qui pèse sur la France, sur les intérêts français en Afrique et sur l'ensemble du continent noir. Au fil des semaines, l'opération Serval, dans laquelle il s'est totalement investi, est devenue « sa » guerre. Jean-Yves Le Drian s'est d'emblée senti chez lui au ministère de la Défense. Âgé de 65 ans, cet homme fidèle et loyal, ni bégueule ni sectaire, s'était préparé depuis longtemps à ses nouvelles fonctions. L'ex-maire de Lorient, ancien président de la région Bretagne, a toujours suivi de très près les questions de défense. Ce n'est pas un hasard si, lors du quinquennat précédent, Nicolas Sarkozy lui avait proposé à deux reprises le ministère de la Défense au nom de l'ouverture. Mal à l'aise face aux caméras il y a encore six mois, Jean-Yves Le Drian semble, depuis, s'être pris au jeu. Un peu trop, au goût de certains. À peine nommé, ce fidèle de François Hollande a voulu restaurer la « primauté du politique » au sein de son ministère et imposer un « rééquilibrage » entre civils et militaires. La nouvelle équipe veut faire du locataire de la rue Saint-Dominique un « vrai » ministre. La guerre du Mali, dont il assure au quotidien le suivi politique, n'est pas le seul défi que Jean-Yves Le Drian doit relever. Si les armées françaises ont prouvé une fois encore, dans les sables du Sahel, leur niveau d'excellence, elles sont aujourd'hui menacées par la rigueur et les coupes budgétaires qui devraient découler du prochain Livre Blanc de la Défense et de la future Loi de programmation militaire (LPM). Jean-Yves Le Drian ne sera pas seulement jugé sur l'intervention française au Mali, si remarquable fût-elle, mais aussi sur sa capacité à préserver l'outil de défense de notre pays et à éviter à la France un déclassement stratégique.
I. L.
Isabelle Lasserre - Monsieur le Ministre, en quoi la guerre au Mali est-elle différente des interventions françaises du passé ? Jean-Yves Le Drian - Elle l'est, d'abord, parce qu'au Mali nous avons joué un rôle d'alerte. C'est la France qui, pendant de longs mois, a alerté les opinions européennes et internationales sur les menaces qui s'accumulaient dans la région. Lorsque je suis arrivé à l'hôtel de Brienne, le premier dossier sensible auquel j'ai été confronté a été le Mali. Et cela, à un moment où l'importance du sujet échappait à la plupart des observateurs. Ces groupes terroristes représentaient un danger non seulement pour nos intérêts - plusieurs tentatives d'attentats sur le sol français ont heureusement été déjouées -, mais aussi pour la sécurité globale du continent africain et celle des Européens. Nous les observions depuis un moment et avions constaté qu'ils s'armaient de plus en plus et qu'ils se développaient en toute liberté. Nous avons alors prévenu successivement les ministres de la Défense de l'Union européenne et avons multiplié les entretiens bilatéraux pour favoriser une prise de conscience dans les capitales européennes. C'est un mélange de pédagogie et de pression qui a permis de les convaincre. Parallèlement, le président de la République a alerté les Nations unies dès le mois de septembre, de manière très solennelle. Ces efforts ont débouché fin décembre sur deux événements majeurs : la résolution 2085 qui autorise l'envoi au Mali d'une force africaine et la constitution d'une mission européenne de formation et de restructuration de l'armée malienne (EUTM). Nous sommes intervenus à l'appel et avec le soutien de l'État malien et avec celui de l'ensemble de l'Union africaine (UA). Enfin, et cette intention fut annoncée dès le début, nous repartirons du Mali dès que nous le pourrons. Nous n'avons pas vocation à y rester. I. L. - Que se serait-il passé si la France n'était pas intervenue au Mali ? J.-Y. L. D. - Sans intervention, on aurait eu l'anarchie. Les groupes terroristes qui faisaient mouvement vers le Sud seraient allés jusqu'à Bamako ; nous en sommes plus persuadés encore qu'au début de notre intervention. Jamais ils ne se seraient contentés de Mopti (1). Or, compte tenu de la fragilité du régime de transition (2), on pouvait s'attendre à de très fortes tensions. Le pays aurait sombré dans le chaos. La constitution d'un État terroriste nous menaçait directement. Les pistes de sortie de crise auraient été longues et laborieuses à mettre en oeuvre. Et il est fort probable que la France et les pays européens auraient été victimes d'actes terroristes. Le chaos au Sud, les attentats au Nord : tel était le scénario qu'avaient préparé les groupes terroristes, comme l'ont confirmé les découvertes faites par les forces françaises au fur et à mesure de leur remontée vers le nord du pays - caches, repaires, manuels de préparation au terrorisme, camps d'entraînement... Encore une fois, si nous avons décidé d'intervenir, ce n'est pas seulement pour assurer la sécurité des Maliens, mais aussi la nôtre et celle …
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