Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA REGIME SYRIEN VU DE L'INTERIEUR

Le général Manaf Tlass, 49 ans, a longtemps été l'un des intimes de Bachar el-Assad. Mais on le chercherait en vain aux côtés du président syrien aujourd'hui : il a quitté Damas en juillet 2012 et réside désormais à Paris. Commandant d'une unité d'élite de l'armée - la prestigieuse 104e brigade de la Garde républicaine, chargée d'assurer la protection du régime -, le général Tlass est tombé en disgrâce après s'être opposé à la répression. Cet ami d'enfance de Bachar, dont le père, Moustapha, fut ministre de la Défense du gouvernement syrien pendant 32 ans et vit aujourd'hui également à Paris, a refusé d'obéir aux ordres lorsque le pouvoir a commencé à user de la violence pour mater la rébellion née en mars 2011. À l'été 2012, la défection du beau général rebelle sunnite - sa vie et celle de sa famille étaient désormais menacées à Damas - avait fait grand bruit. Depuis, Manaf Tlass ne s'est que rarement exprimé dans les médias, préférant se montrer discret. De tous les opposants, il est celui qui fut le plus proche du président Bachar el-Assad. Il est aussi celui qui connaît le mieux les arcanes du pouvoir. Voilà pourquoi sa voix et les solutions qu'il propose doivent retenir l'attention. Le général Tlass souhaite contribuer à la transition. Il nous livre ici le seul scénario qui, selon lui, pourrait sortir la Syrie d'affaire : un grand rassemblement des modérés issus de tous les groupes ethniques et religieux du pays, autour d'un projet d'union nationale. Un projet attirant et ambitieux qui suggère de rejeter les deux formes d'extrémisme dont souffre la Syrie : celle du pouvoir et celle des groupes islamistes. Saura-t-il l'imposer à une opposition divisée, désorganisée, qui dépend en partie des intérêts rivaux des puissances régionales ? Malgré la récente élection d'un premier ministre intérimaire par la Coalition nationale de l'opposition syrienne, Ghassan Hitto, les opposants de l'extérieur et ceux qui combattent le régime sur le terrain n'ont pas toujours la même vision de l'avenir... I. L. Isabelle Lasserre - Général, comment expliquez-vous que Bachar el-Assad tienne encore, plus de deux ans après le début de la rébellion ? Manaf Tlass - L'explication réside dans des raisons à la fois internes et externes. Depuis le début de la crise, Bachar a fait feu de tout bois pour essayer de reprendre la main. À l'intérieur, il a tenté de monter les minorités les unes contre les autres en manipulant les Kurdes, les alaouites (1), les sunnites, les chiites... Il a brandi la menace du confessionnalisme à un moment où ce danger n'existait pas. Son objectif premier consistait à persuader les alaouites que les insurgés avaient décidé de les prendre pour cible, et que si son régime venait à tomber les membres de cette communauté seraient massacrés. Il a atteint son but : les alaouites éprouvent désormais une crainte viscérale pour leur survie. Les excès commis par les milices du régime ont renforcé le caractère confessionnel de la guerre, des deux côtés. Ce qui, à son tour, a servi les ambitions des groupes extrémistes islamistes... Bachar a également utilisé la carte iranienne puisqu'il a tout fait pour obtenir le soutien du Hezbollah (2). Ce dernier a accepté de se ranger aux côtés du dictateur de Damas. Ce faisant, le Hezbollah a commis une grave erreur : il a paru oublier que son mouvement était « populaire », que sa notoriété et la sympathie dont il bénéficiait étaient avant tout issues du peuple. En prenant position pour le régime syrien, il a donné l'impression de placer les préoccupations confessionnelles au-dessus des intérêts du peuple, au-dessus de la justice. C'est très inquiétant. Pour résumer, au niveau national et régional le régime a déstabilisé le tissu communautaire syrien à seule fin de préserver son pouvoir. Il a volontairement exacerbé les peurs à l'intérieur et à l'extérieur du pays. C'est cette stratégie dévastatrice qui lui a permis de survivre jusqu'ici... I. L. - Vous étiez un proche de Bachar el-Assad. À quel moment a-t-il basculé ? Pour quelles raisons s'est-il ainsi métamorphosé ? M. T. - Le cercle qui l'entoure l'a beaucoup influencé, en lui faisant peur. Ce cercle ne voulait faire aucune concession - car toute concession aurait risqué de briser son équilibre interne et de le faire chuter. Face aux événements, au début de la rébellion, Bachar avait deux choix. La première solution aurait été de lancer un processus de réformes, de répondre aux demandes du peuple et à la réalité du terrain. Il n'était pas assuré de relever ce défi ; mais s'il y était parvenu, il aurait dirigé son pays de manière démocratique et participé à son évolution politique. Et s'il avait échoué, il aurait eu, au moins, le mérite d'avoir essayé de mettre la Syrie sur le bon chemin. Hélas, il a opté pour la seconde solution : la répression. S'il réussit dans cette voie de la répression, il deviendra un dictateur régnant sur un pays et un peuple détruits, sur des villes en ruine. S'il échoue, il …