Égypte : les mirages de la démocratie

n° 141 - Automne 2013

Les événements survenus en Égypte à l'été 2013 - manifestation populaire monstre pour réclamer le départ du président Morsi le 30 juin, déposition de celui-ci par l'armée quelques jours plus tard, vague de répression contre les Frères musulmans - sont d'une portée considérable. Ils conduisent tout d'abord à s'interroger sur la dimension réelle du Printemps égyptien de 2011, qualifié un peu rapidement de « révolution du 25 janvier », et sur les conséquences de l'échec des Frères musulmans. Le retour en première ligne non seulement des militaires mais de nombre de figures de l'ancien régime scelle-t-il la fin d'un épisode atypique qui n'aura constitué qu'une brève parenthèse dans plusieurs décennies de régime fort (pour ne pas dire plus) ? Ou s'agit-il d'un simple soubresaut dans un processus de démocratisation qui ne peut s'inscrire que dans la durée, avec ses avancées et ses retours en arrière ? L'expérience égyptienne marque-t-elle la fin de l'islam politique, prédite de longue date par certains politologues (1), ou un revers supplémentaire dans l'histoire mouvementée de la confrérie créée en 1928 par Hassan al-Banna ? Annonce-t-elle l'avènement d'autres déclinaisons de l'islamisme, plus modérées, ouvertes au monde et à la modernité ou, au contraire, plus radicales (salafistes, voire jihadistes) ?


Les militaires n'ont jamais véritablement quitté le pouvoir


Le virulent débat qui a accompagné la destitution du président Morsi - « coup d'État » pour les uns, « révolution » pour les autres - renvoie à l'instauration de la République égyptienne. La prise de pouvoir par les Officiers libres qui chassent le roi Farouk en 1952 est entrée dans l'Histoire sous le nom de révolution et personne, en Égypte, n'aurait le mauvais goût d'évoquer un putsch. Le mythe du peuple souverain recouvre depuis l'origine la réalité d'un pouvoir qui n'a cessé d'être exercé ou contrôlé à distance par les militaires. Fille du peuple, au service du peuple, premier ascenseur social, l'armée s'incarne dans la figure toujours chérie de Nasser. Celui-ci a redonné au pays sa fierté nationale, lui a restitué la jouissance de ses ressources spoliées (nationalisation du canal de Suez en 1956) et a su faire de l'Égypte le phare culturel et politique du monde arabe. Récit magnifié qui gomme les défaites successives face à Israël et néglige le préjudice causé par les prébendes des militaires, dont l'empire économique est généralement évalué au tiers du PIB.
Cette situation privilégiée, les militaires ont toujours su la défendre, en dépit de l'absence de conflit ouvert depuis la guerre du Kippour de 1973. Sadate, issu de leurs rangs mais qui se méfie d'eux, favorise leur reconversion dans les affaires. La signature des accords de Camp David avec Israël (1979) est assortie d'une « prime à la paix » dont l'aide militaire américaine constitue la majeure partie (1,3 sur 1,7 milliard de dollars). L'armée gère non seulement des usines d'armement mais également des centres de production de biens de consommation courante (gaz, eau minérale) et des boulangeries. Elle dispose de clubs privés et de magasins subventionnés, conduit des projets d'aménagement …