Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'Europe qui redémarre

Michel Barnier aime souligner ses origines savoyardes pour rappeler que, en tant que montagnard, il appartient à la catégorie des « tenaces ». Avec ses airs d'éternel jeune premier ou de gendre idéal, l'ancien co-organisateur des Jeux olympiques d'hiver d'Albertville en 1992, avec Jean-Claude Killy, poursuit inlassablement une carrière politique que bon nombre de ses collègues de droite comme de gauche lui envieraient.
Quatre fois ministre, deux fois commissaire européen, il a également été plus jeune député de France, président du Conseil général de Savoie, sénateur et, dans le privé, vice-président du groupe Mérieux.
À 62 ans, ce diplômé de l'École supérieure de commerce de Paris qui s'est toujours défini comme « gaulliste et européen » compte bien ne pas s'arrêter là. Et les élections européennes qui se tiendront au printemps 2014 décideront grandement de la suite de sa carrière.
Michel Barnier, dit-on dans les chancelleries, a acquis non seulement de l'expérience mais, aussi, de l'« épaisseur » à Bruxelles où sa réussite au poste de commissaire en charge du marché intérieur et des services financiers est incontestable. Conséquence : beaucoup voient en lui le possible successeur de José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne en 2015 si le Parti populaire européen (PPE), qui regroupe les partis de centre droit des 28 pays de l'UE, obtient la majorité au Parlement de Strasbourg.
Dans la course à ce poste prestigieux, il pourrait devenir le principal rival de l'actuel président du Parlement européen, le social-démocrate allemand Martin Schulz, qui briguerait certainement le poste de José Manuel Barroso dans l'hypothèse où le Parti socialiste européen (PSE) l'emporterait aux élections européennes.
Bien sûr, le jeu reste très ouvert et Michel Barnier se montre d'une prudence extrême quand on l'interroge sur ses intentions. Même s'il ménage le chef de l'État dans l'entretien exclusif qu'il a accordé à Politique Internationale, il est douteux que François Hollande le soutienne le moment venu... Mais si Angela Merkel et la CDU en font leur champion, alors tout sera possible !
B. B.

Baudouin Bollaert - En tant que commissaire européen chargé du marché intérieur et des services financiers, vous êtes bien placé pour ausculter la crise que traverse l'UE. Certains annoncent la fin de la récession, mais les peuples demeurent méfiants. Où en est-on réellement ?
Michel Barnier - Face à plusieurs crises d'une grande violence, les dirigeants et les institutions de l'Union européenne ont pris les bonnes décisions. La politique adoptée explique un certain retour au calme. Même s'il faut rester prudent, car les signaux positifs demeurent fragiles, je pense pouvoir affirmer que nous avons remis sur les rails un train qui avait failli dérailler. À présent, le train redémarre... lentement. La zone euro sortira de la crise mieux organisée - et, j'espère, plus forte - qu'elle ne l'était auparavant.
B. B. - Dans son rôle de « gendarme », la Commission européenne est fréquemment critiquée, notamment en France. Ressentez-vous une méfiance croissante à l'égard du collège bruxellois ?
M. B. - Permettez-moi de rappeler brièvement ce qu'est l'architecture de l'UE. Comme chacun sait, il y a plusieurs institutions à Bruxelles. Il y a la Commission : elle propose, exécute les décisions et surveille la bonne application des traités ; mais il y a, aussi, deux Chambres : la Chambre des États qu'est le Conseil des ministres et la Chambre des peuples qu'est le Parlement européen. Ce sont elles qui prennent les décisions. Enfin, au sommet, il y a le Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement. Je ne cherche pas à distribuer de bons ou de mauvais points, mais toutes ces institutions sont responsables de ce qui se passe au niveau européen et de ce qui ne se passe pas...
B. B. - Tous coupables ?
M. B. - Soyons lucides : le système est complexe. Les institutions européennes ont du mal à décider. En outre, elles ont eu le tort pendant trop longtemps de laisser libre cours à cette caricature du capitalisme qu'est l'ultra-libéralisme, c'est-à-dire la foi excessive dans la dérégulation et l'autorégulation. C'est ce qui a entraîné des dérives, des erreurs, des inerties, des difficultés à trancher... J'estime que nous avons tiré les leçons de nos erreurs. J'en veux pour preuve les efforts que j'ai entrepris - avec la confiance du président Barroso - pour reconstruire un système global de régulation financière et remettre la finance au service de l'économie réelle et non pas à son propre service. Bref, nous sommes en train d'injecter de la transparence et de la morale là où elles avaient disparu. Mais je sais que dans certains pays, dont la France, on a tendance à mettre sur le dos de la Commission tout ce qui ne va pas au niveau national. Ce n'est pas juste...
B. B. - Et pas nouveau...
M. B. - Pas nouveau, non. Mais à continuer ainsi, on accentue la méfiance. Il est tellement facile de rejeter la faute sur les autres ! Bruxelles n'est pour rien dans les difficultés du marché du travail en France ; Bruxelles …