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Portugal : un long rétablissement

En cette année 2013, Pedro Passos Coelho, le premier ministre portugais, n'est plus tout à fait le même homme que celui qu'avait rencontré Politique Internationale en juin 2011, deux jours seulement après sa victoire aux élections législatives. Son pays était au plus mal mais lui se trouvait au meilleur de sa forme. Son prédécesseur socialiste, José Socrates, venait de signer avec le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et l'Union européenne un accord de sauvetage de 78 milliards d'euros. Le Portugal se plaçait ainsi sous la tutelle de ces trois organismes, surnommés la « troïka », qui imposèrent des mesures d'austérité et un calendrier indiquant leur mise en oeuvre. En campagne électorale, Passos Coelho (président du Parti social-démocrate, centre droit) avait promis d'appliquer ce programme et même d'aller plus vite que ne l'exigeait l'accord - et cela, afin de dynamiser son pays et de lui rendre au plus tôt sa liberté d'action. Deux ans plus tard, le constat est mitigé et Passos Coelho, toujours volontariste, certes, mesure le chemin qu'il reste à parcourir. Le premier ministre n'a pas réussi à devancer les demandes de la troïka et la récession s'est révélée plus grave que prévu. Les réformes furent menées difficilement, dans un climat social tendu, marqué par trois grèves générales depuis les législatives. L'accord de sauvetage de 2011 prévoyait le retour à un déficit de 3 % en cette année 2013. Aujourd'hui, Passos Coelho en est réduit à espérer que ce taux ne dépassera pas les 5,5 %, alors que la croissance est négative de plus de deux points et que le chômage affecte 18 % de la population active.
La crise économique perdure ; mais, cet été, une autre crise, politique celle-là, s'est invitée dans ce décor désolant. En 2011, le PSD avait certes remporté les législatives mais n'avait cependant pas obtenu la majorité absolue des sièges au Parlement. Il dut donc s'allier avec le petit parti conservateur CDS-PP (Centro Democratico e Social - Partido Popular) de Paulo Portas, qui fut nommé ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement. Bien que Portas eût fait campagne en promettant d'« adoucir » la potion amère de l'austérité et d'être le « contrepoids » du PSD, les deux partis s'engagèrent, en nouant leur alliance, à forger une coalition solide qui durerait les quatre années de la législature. Or, le 1er juillet dernier, tout s'effondre. À l'origine de la crise se trouve la démission du ministre des Finances, Vitor Gaspar, un technocrate sans affiliation politique. M. Gaspar estime avoir atteint les limites acceptables d'une politique d'austérité et ne souhaite pas continuer son travail dans un climat social devenu hostile aux réformes. Il est aussitôt remplacé par Maria Luis Albuquerque, jusqu'alors secrétaire d'État au Trésor, qui symbolise la continuité dans l'effort entrepris. Mais, dès le lendemain, Paulo Portas, fâché de ne pas avoir été écouté quand il avait souhaité que les réformes soient conduites sur un rythme moins rapide, annonce sa démission « irrévocable ». Soudain, c'est la survie même du gouvernement qui est en jeu.
Suivent quatre jours infernaux. À droite, on multiplie les consultations publiques et les négociations discrètes ; à gauche, on appelle à la démission de M. Passos Coelho et à des élections anticipées. Puis M. Portas, qui avait claqué la porte... revient par la fenêtre quatre jours plus tard avec le titre de vice-premier ministre chargé des Finances, de la réforme de l'État et du dialogue avec la troïka ! Cette crise, qui un instant a fait trembler la zone euro, se termine en farce guignolesque. Si l'issue a permis de soigner l'amour-propre de Paulo Portas, le coup d'éclat apparaît, rétrospectivement, assez dérisoire, sinon ridicule au regard des enjeux. À cela viennent de s'ajouter, le 29 septembre, des élections municipales désastreuses pour le parti du premier ministre, le PSD, qui ne rassemble que 16,7 % des suffrages, contre 36,3 % pour le Parti socialiste. Pedro Passos Coelho a reconnu que ce scrutin représentait une « défaite nationale » - une défaite dont il estime cependant qu'elle constitue le « prix à payer » pour mener sa politique de redressement. Son ambition, désormais, est d'atteindre les conditions qui permettraient au Portugal de mettre fin à la tutelle de la troïka à son échéance prévue, en juin 2014.
Quoi qu'il en soit, le Portugal n'en aura pas pour autant fini avec la crise et la mise en oeuvre des ajustements qu'elle impose. De grandes avancées ont été réalisées, il est vrai : la réduction du déficit budgétaire ; le retour à l'équilibre de la balance commerciale ; une réforme facilitant les procédures d'embauche et de licenciement dans le secteur privé ; et une baisse des effectifs des fonctionnaires. Mais elles ne suffisent pas pour renouer avec la croissance et retrouver la pleine confiance des marchés. M. Passos Coelho, qui a entamé avec courage et ténacité ce train de réformes, sera sans doute tenté, en 2015, d'être de nouveau candidat pour « finir le travail ». Et de prévenir par avance ses adversaires potentiels : les réformes devront continuer, quel que soit le futur chef du gouvernement. « C'est très simple, dit-il : nous n'avons pas le choix. »
M. F.

Michel Faure - Deux ans après la signature d'un accord de sauvetage de 78 milliards d'euros avec le FMI, la BCE et l'Union européenne, la crise économique est toujours prégnante ; et, cet été, vous avez traversé une autre crise, politique celle-là, qui a mis votre gouvernement en péril. Quelles leçons tirez-vous de cette situation ?
Pedro Passos Coelho - Je crois que les temps difficiles que nous venons de traverser ont permis aux Portugais de comprendre toute l'importance de la stabilité politique. Celle-ci serait menacée si la coalition que mon parti, le PDS, forme avec son allié, le CDS-PP, venait à prendre fin. Or, au vu de l'urgence financière, ce n'est certainement pas le moment d'ajouter dans le tableau portugais un nouvel élément de crise, de nature politique !
M. F. - Et maintenant, où en est-on ?
P. P. C. - Nous avons ouvert un nouveau cycle de consolidation budgétaire et nous continuons à avancer, avec le gouvernement, vers le même objectif : la conclusion, à la date prévue, c'est-à-dire en juin 2014, du programme d'assistance financière conclu avec la troïka, afin de pouvoir récupérer notre autonomie et retourner sur les marchés pour nous financer.
M. F. - Mais, jusqu'à présent, vous n'avez pas encore réussi à atteindre les objectifs de ce programme d'assistance. Malgré vos réformes et vos efforts, le redressement n'a pas été aussi rapide que prévu...
P. P. C. - J'ai dit que nous espérions sortir du programme de la troïka en juin de l'année prochaine ; je n'ai pas dit que nous en aurons alors fini avec l'ajustement. Nous allons devoir continuer, pendant quelques années encore, de vivre avec un très haut niveau de dette. C'est pourquoi notre détermination à contrôler nos finances publiques ne doit pas faiblir. La réalité, c'est que nous devons respecter les règles de l'accord avec la troïka, nous devons respecter les règles de la zone euro et nous devons maintenir nos finances sous contrôle, ce qui signifie qu'il faut changer nos politiques publiques, ce que nous faisons.
M. F. - Le Portugal doit donc se résoudre à vivre encore de longues années dans l'austérité...
P. P. C. - Je veux être très clair : nous n'avons pas pris la décision de conduire une politique d'austérité. Elle s'est imposée à nous parce que nous avons eu le courage d'affronter la réalité.
M. F. - La crise politique de cet été a été déclenchée par la démission du ministre des Finances, Vitor Gaspar. Il a expliqué que la politique du gouvernement était devenue trop dure pour les gens et n'avait plus le soutien de l'opinion publique. On dit qu'il a été très choqué d'avoir été verbalement agressé dans la rue ; un passant aurait même craché dans sa direction...
P. P. C. - Vous savez, on a écrit dans les journaux des choses incroyables ces derniers temps... Je ne vais pas commenter les raisons du départ de M. Gaspar. Je crois seulement qu'il a jugé que la politique d'ajustement budgétaire et …