Les Grands de ce monde s'expriment dans

Prism : parole à la défense

Michael Hayden connaît tous les secrets du monde. Il sait comment les États-Unis y accèdent et comment les agences de sécurité les préservent à l'abri des regards des curieux, aussi bien virtuels que réels. En quarante ans, il a gravi tous les échelons de l'armée de l'Air américaine, jusqu'au grade de général, grâce à ses talents reconnus pour l'art du renseignement. L'un des principes de ce monde secret consiste, bien entendu, à ne jamais dévoiler précisément les actions menées...
Le général Hayden, âgé aujourd'hui de 68 ans, a dirigé de 1999 à 2005 la National Security Agency (NSA), cette fameuse agence de renseignement à la fois civile et militaire qui surveille les communications et déverrouille les codes et les systèmes de cryptage (1). Grâce à son réseau d'antennes implantées sur la planète entière, à ses satellites en orbite, à ses milliers de linguistes capables de comprendre la quasi-totalité des dialectes parlés sur Terre et à son partenariat très étroit avec l'agence britannique GCHQ (General Communications Headquarters), la NSA peut intercepter et décrypter quasiment n'importe quelle communication.
Après le 11 septembre 2001, Michael Hayden a supervisé la création d'un système de surveillance anti-terroriste beaucoup plus étendu que celui qui existait jusqu'alors. Ce programme fut rapidement sujet à controverse. Mais le général a poursuivi et approfondi cette mission lorsqu'il a été nommé directeur adjoint du nouveau Directorate of National Intelligence (DNI, Direction nationale du renseignement). Par son travail au coeur des « grandes oreilles » de l'Amérique, Hayden a fait la démonstration quotidienne qu'il existe une différence de taille entre écouter une conversation et en saisir réellement le sens.
En mai 2006, le président Bush le nomma à la tête de la CIA. M. Hayden devenait ainsi le premier militaire à ce poste en 25 ans, ce qui ne manqua pas de susciter les critiques des détracteurs des guerres d'Irak et d'Afghanistan, inquiets de voir un tel pouvoir entre les mains d'un gradé de l'armée. Jusqu'à son départ à la retraite en février 2009 - trois semaines après l'investiture de Barack Obama -, le général a renforcé la capacité de la CIA à frapper les terroristes, bien au-delà de sa seule faculté à les localiser et à les mettre sur écoute.
Michael Hayden estime n'avoir aucune excuse à présenter pour les innombrables interceptions d'emails et de conversations téléphoniques effectuées par la NSA et révélées par Edward Snowden. Pour lui, cette surveillance est une nécessité dans le combat mené contre les acteurs non étatiques tels qu'Al-Qaïda. Quant à l'espionnage traditionnel, celui qui vise les gouvernements étrangers, il se poursuit et même se développe.
Mais l'ancien patron de la NSA insiste sur les garanties qui entourent cette surveillance : un système de demande et de délivrance d'autorisations a été mis en place en 2007, sur l'insistance du Congrès. Ce système accroît la supervision spécifique exercée par la Cour du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), une loi adoptée en 1978 instaurant un panel de onze juges chargés d'évaluer en toute discrétion les demandes d'écoutes téléphoniques et d'interceptions de courrier déposées par les agences gouvernementales afin de débusquer d'éventuels espions étrangers installés aux États-Unis.
Michael Hayden adhère pleinement à l'obligation, pour les services de renseignement, d'agir dans un cadre légal, ne serait-ce que parce que leur mission est la protection d'un État de droit. En revanche, souligne-t-il, les lois américaines ne s'appliquent qu'aux citoyens américains et aux résidents étrangers aux États-Unis : elles ne protègent pas les étrangers résidant au-delà des frontières des États-Unis.
Le général Hayden conseille aujourd'hui les clients du Chertoff Group (fondé par l'ancien secrétaire à la Sécurité intérieure Michael Chertoff) sur un large panel de questions sécuritaires. L'homme possède des détracteurs, au premier rang desquels les militants libertaires qui portent aux nues le lanceur d'alerte Edward Snowden ; mais, pour l'heure, il n'a pas été éclaboussé par les scandales, malgré les deux programmes sans précédent mis en oeuvre sous sa direction : les interrogatoires musclés de terroristes présumés (y compris le waterboarding) et les attaques de drones (avions sans pilotes) menées dans de nombreux pays, attaques que Washington ne reconnaît qu'avec réticence.
Après la révélation récente des activités de la NSA en matière d'interceptions et de ciblage des communications électroniques, Hayden n'a cessé de souligner la légitimité de ces méthodes : pour lui, préserver la sécurité des États-Unis requiert d'enregistrer des milliards de communications quotidiennes à l'étranger. Même si les ressources humaines et le temps manquent pour toutes les analyser, les messages sont interceptés et stockés, qu'ils concernent des présidents, des industriels, des journalistes ou des citoyens ordinaires.
Bien qu'il se refuse à dire qui, où et comment l'Amérique espionne, M. Hayden a accepté, pour les lecteurs de Politique Internationale, de lever partiellement le voile sur le monde clandestin de l'espionnage.
D. R.

Dan Raviv - Bachar el-Assad a fini par reconnaître qu'il possédait des armes chimiques. Mais les services de renseignement américains n'avaient pas attendu cet aveu pour convaincre le président Obama du danger...
Michael Hayden - Exact. Les renseignements obtenus sur la Syrie pouvaient difficilement être plus limpides. Ceux des membres du Congrès qui ont affirmé que ces éléments n'étaient pas concluants cherchaient simplement à esquiver la question des conclusions à en tirer, en termes d'actions concrètes à mener...
D. R. - N'est-ce pas parce que l'épisode irakien a laissé des traces ?
M. H. - Là encore, vous dites vrai. Depuis cet épisode, on sent une certaine réticence à suivre les évaluations des services de renseignement. Pourtant, ces évaluations sont souvent justes. Vous vous souvenez sans doute qu'en 2007 les services américains ont émis un avis plutôt prudent sur les développements du programme nucléaire iranien en rapportant que les travaux touchant à la fabrication d'armes atomiques avaient été arrêtés. Et cette évaluation s'est, à l'époque, révélée exacte. Mais notre erreur d'appréciation sur l'Irak continue de peser sur notre crédibilité, c'est indéniable... Pour en revenir au cas syrien, je répète que nous avons apporté au président suffisamment d'éléments pour étayer fermement ce que nous avançons.
Nous savions qu'une attaque chimique s'était produite. Nous savions que le gouvernement syrien en était responsable. Le gouvernement américain et le directeur national du renseignement, James Clapper, sont allés très loin dans les révélations des informations en leur possession : lorsque des officiels avancent ainsi, publiquement, qu'ils ont intercepté des communications au sein des hautes sphères de l'État syrien, les gens du métier, dont je fais partie, commencent même à se crisper devant tant d'indiscrétion. Car mettre ce genre d'informations sur la place publique revient à dévoiler une partie de nos capacités de renseignement.
D. R. - Cette fois, la France était prête à appuyer Washington dans le cadre d'une action militaire. Quelles sont les capacités des Français en matière de renseignement, en particulier au Moyen-Orient ?
M. H. - Vous comprendrez que je ne peux pas entrer dans le détail des actions de terrain, mais il faut bien avoir à l'esprit que la France possède depuis longtemps des intérêts dans cette région. Comme chacun sait, elle a exercé un mandat sur la Syrie avant l'indépendance du pays. Et le ministre français des Affaires étrangères a joué un rôle central dans l'accord Sykes-Picot en 1916 (2). La France n'a jamais cessé d'être présente dans cette zone. De mon point de vue, les moyens techniques de recueil d'informations dont les Français disposent ne sont pas comparables à ceux des États-Unis. En revanche, leurs sources humaines sont probablement au moins aussi riches que les nôtres...
D. R. - Il est vrai que partout où la France estime avoir des intérêts vitaux, en particulier dans ses anciennes colonies d'Afrique francophone, ses moyens de renseignement humain paraissent très développés...
M. H. - Tout à fait. Nous coopérons franchement avec nombre de nations amies. Chacune apporte ses propres atouts. Et comme …