Après deux mandats présidentiels (2004-2008 et 2008-2013), l'ancien chef de file de la « Révolution des roses » a rendu les clefs de la petite république caucasienne. « Le temps est venu de vous passer de moi », a-t-il dit aux Géorgiens, acceptant ses deux échecs électoraux (aux législatives d'octobre 2012 et à la présidentielle un an plus tard) sans protester ni tricher - une attitude assez rare dans la région.
En dix ans, Mikheïl Saakachvili a ancré la démocratie en Géorgie. Il a sorti le pays de l'ère soviétique pour le rapprocher de l'Otan et de l'Union européenne. Si le nouveau pouvoir a érigé en priorité la normalisation des relations avec la Russie, il n'a pas renoncé pour autant à la politique d'intégration à l'UE et à l'Otan. En novembre, un accord d'association a été signé entre l'Union européenne et la Géorgie. Sur la scène intérieure, Saakachvili a rétabli la sécurité en réprimant les mafias locales et mis fin à la corruption grâce à une politique de « tolérance zéro » contre la criminalité organisée. Mais il a aussi perdu la guerre livrée en août 2008 contre la Russie pour le contrôle de l'Ossétie indépendantiste. Un tiers du territoire géorgien - l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud - est toujours occupé par les troupes russes.
La lutte contre la corruption et les réformes à marche forcée destinées à rendre inéluctable l'arrimage de la Géorgie à l'Ouest ont fait de nombreux mécontents. Les problèmes sociaux ont été négligés ; des pressions ont été exercées sur les médias. Le jour de sa défaite, avec courage et humilité, celui que les Géorgiens appellent « Micha » a présenté ses excuses à tous ceux qui ont souffert du « rythme accéléré » des réformes. Il a reconnu avoir commis des fautes. « Nous avons pris des raccourcis et fait des erreurs » a-t-il dit, concédant être parfois allé « trop vite » ou « pas assez loin » à l'aide de méthodes trop « radicales ».
Il a depuis choisi l'exil volontaire, aux États-Unis, où il compte enseigner dans des universités et des think tanks, plutôt que de courir le risque d'être jeté en prison à Tbilissi comme le fut, à Kiev, l'ancien premier ministre ukrainien Ioulia Timochenko. Depuis la victoire aux élections législatives du « Rêve géorgien » conduit par le milliardaire pro-russe Bidzina Ivanichvili, plusieurs responsables de l'équipe sortante ont, en effet, été arrêtés et écroués.
Personne n'imagine pourtant Mikheïl Saakachvili quitter définitivement la vie politique à 45 ans. Il consacre désormais son temps à aider les mouvements pro-européens qui, de Kiev à Chisinau (Moldavie), se dressent contre les manoeuvres ourdies par Vladimir Poutine pour reprendre en main l'ancien pré carré soviétique. En septembre, son brillant discours à la tribune de l'ONU, consacré à l'avenir de la région, avait enflammé les milieux pro-occidentaux d'un bout à l'autre du Caucase. « D'ici quelques années, Vladimir Poutine aura quitté le Kremlin et se sera évanoui de la politique russe », promettait-il, pendant que la délégation russe claquait la porte. À Kiev, Mikheïl Saakachvili a été applaudi par les opposants qui manifestaient sur le Maidan en faveur d'un rapprochement avec l'Union européenne. Alors que la vague des « révolutions de couleur » est en train de refluer dans toutes les ex-républiques d'URSS, l'ancien président géorgien, dont le charisme et l'énergie semblent inaltérables, a trouvé provisoirement d'autres défis à relever.
Voici, en exclusivité pour Politique Internationale, ses premières réflexions d'après-pouvoir et ses projets d'avenir.
I. L.
Isabelle Lasserre - Vous venez d'annoncer votre retrait de la vie politique géorgienne après deux revers électoraux : comment en êtes-vous arrivé là ?
Mikheïl Saakachvili - Dix longues années de réformes, de crises et de tensions produisent nécessairement une certaine lassitude. Dans un système démocratique où les élections sont libres, il est normal que cette lassitude conduise à une alternance. J'ajoute que c'est sain. Notre objectif - car il s'agissait d'un travail d'équipe et non d'un « one man show » - n'a jamais été de nous maintenir au pouvoir coûte que coûte. Il était de créer un pays différent, de transformer une nation postsoviétique, morcelée, corrompue, autoritaire en une société européenne.
I. L. - Y êtes-vous parvenu ?
M. S. - Nous avons accompli des progrès considérables. Et notre défaite aux élections, aussi amère soit-elle, vient en quelque sorte confirmer ces progrès : en Géorgie, les changements de gouvernement ne passent plus par des coups d'État ou des révolutions, quand bien même elles seraient pacifiques, mais par des élections, comme le prévoit la Constitution.
Alors, bien sûr, nous avons commis des erreurs, petites ou grandes, qui expliquent notre défaite. Nous sommes allés trop vite dans certains cas, pas assez dans d'autres ; nous avons heurté des intérêts, bousculé des traditions ; nous avons oublié certains pans de la société et en avons fâché d'autres. Mais aujourd'hui la Géorgie est un pays incomparablement plus ouvert, démocratique et prospère qu'il y a dix ans.
I. L. - Revenons-en à vous, à votre retrait annoncé...
M. S. - J'ai dit aux Géorgiens qu'ils avaient apparemment besoin de marquer une pause dans notre relation fusionnelle et je pense sincèrement que c'est le cas. Toute ma vie d'adulte a été guidée par un seul objectif : servir mon pays et l'aider à réintégrer sa famille naturelle, la famille des nations libres d'Europe. Je continuerai à me battre pour cet idéal jusqu'à ce que la Géorgie soit définitivement intégrée dans la communauté euro-atlantique. En revanche, je suis bien résolu à m'abstenir de toute activité politique sur la scène intérieure, pendant un moment au moins. Mon parti, le Mouvement national, a traversé une année très difficile faite de harcèlements, d'arrestations et de pressions illégales. Malgré ces difficultés, il a toutes les chances de réaliser un bon score aux prochaines élections locales en 2014. Je vous signale, à cet égard, qu'il n'est pas si fréquent qu'une formation politique qui a perdu le pouvoir réussisse à survivre en tant que force d'opposition au gouvernement suivant. C'est sans doute parce que le Mouvement national est le premier vrai parti politique géorgien depuis l'indépendance - un parti fondé sur des valeurs, des objectifs, une vision, et non sur une constellation d'intérêts. Je suis certain qu'il reviendra aux affaires dans un futur proche.
I. L. - Diriez-vous que, à la faveur des dernières élections (1), la Géorgie a basculé dans le camp russe ?
M. S. - Les hommes actuellement au pouvoir à Tbilissi défendent des positions ambiguës sur les …
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