Les Grands de ce monde s'expriment dans

Europe : l'après-crise

Pierre Moscovici fait partie du cercle encore restreint des empêcheurs de tourner en rond de la gauche traditionnelle française. Pour ce strauss-kahnien de la première heure, rallié à François Hollande dont il dirigea la campagne présidentielle, il est temps que le Parti socialiste fasse sa « révolution copernicienne » : ce social-démocrate revendiqué pense qu'il existe un « sérieux de gauche » permettant de combiner rigueur budgétaire, compétitivité des entreprises et politique sociale. Ses idées font leur chemin, mais tout reste à faire pour les mettre réellement en oeuvre.
Si le ministre de l'Économie et des Finances croit à ce point à la nécessité d'inventer un nouveau modèle économique pour la gauche française, il le doit beaucoup à son engagement européen, lui qui fut élu député au Parlement de Strasbourg à 37 ans et ministre en charge des Affaires européennes de 1997 à 2002 dans le gouvernement Jospin. Pourquoi les réformes qui ont été menées avec succès dans l'Allemagne de Schröder ou l'Angleterre de Blair ne seraient-elles pas possibles chez nous ? Ses rencontres permanentes avec ses partenaires européens, ses contacts avec la Commission de Bruxelles, sa proximité avec le gouvernement allemand - et singulièrement le ministre des Finances Wolfgang Schäuble - l'ont convaincu de la nécessité, pour les Européens, de marcher d'un même pas. Dès sa prise de fonctions, Pierre Moscovici s'est donc attaché à poursuivre les travaux de consolidation de l'Europe entamés depuis 2008 - et cela, afin de tourner la page de la crise. Après avoir survécu aux séismes financiers qui ont frappé la Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et Chypre, la construction européenne doit désormais entrer dans une nouvelle phase, sous l'impulsion d'un couple franco-allemand qui se cherche encore. Redresser l'économie de notre pays dans un cadre européen rénové, apaisé, mais plus contraignant : tel est le défi auquel le ministre des Finances se trouve confronté.
Dans cet entretien exclusif accordé à Politique Internationale, Pierre Moscovici revient sur tous les grands dossiers qu'il a dû prendre à bras-le-corps depuis son arrivée à Bercy et expose son ambition pour l'Europe. La crise de l'euro, bien sûr, qu'il juge désormais derrière nous, et la nécessité de redonner de l'élan à la croissance européenne tout en maîtrisant la dépense publique. Pierre Moscovici plaide pour une mutualisation des dettes à travers la création d'eurobonds et pour une convergence accrue des économies de la zone euro. Il réaffirme aussi la volonté de la France - et de l'Allemagne - d'instaurer une taxe sur les transactions financières. Il se félicite, enfin, de la création de l'Union bancaire qui établit de nouvelles règles de surveillance des banques et fixe un cadre pour mieux gérer d'éventuelles faillites sans affecter les États. Mais la construction européenne reste une oeuvre de longue haleine qui ne se bâtit que sur la prospérité et la confiance - lesquelles, comme on le sait, se conquièrent jour après jour...
G. C.

Gaëtan de Capèle - Dès votre arrivée au ministère des Finances en 2012, vous avez été happé par les questions européennes. Estimez-vous que la crise de l'euro est définitivement jugulée ?
Pierre Moscovici - J'ai la conviction que la crise de la zone euro est derrière nous, même si la prospérité n'est pas encore revenue. Bien sûr, nous devons continuer à assurer l'avenir des États sous programme ; mais le « doute existentiel » sur la zone euro n'est plus d'actualité. Deux événements déterminants sont, en effet, intervenus après l'élection de François Hollande. Le premier, c'est le lancement, lors du sommet de la zone euro du 29 juin 2012, du chantier de l'Union bancaire. Cette Union bancaire vise à briser le cercle vicieux entre crise bancaire et crise souveraine (1) : en admettant que la crise n'était pas seulement la conséquence d'un problème de gouvernance budgétaire, la zone euro s'est enfin donné les moyens d'y remédier efficacement. Le second élément, c'est la détermination absolue affichée par les autorités européennes, et en particulier la Banque centrale européenne, à garantir l'intégrité de la zone euro par tous les moyens. C'est le message qu'a voulu faire passer Mario Draghi dans son discours de Londres du 26 juillet 2012 - discours suivi, quelques semaines plus tard, par la création d'un instrument d'achat de titres souverains des États de la zone euro. Sur cette base, nous avons pu restaurer notre crédibilité. Cela ne veut pas dire que nos efforts peuvent se relâcher, mais ils doivent à présent porter sur une nouvelle priorité : la croissance. Un Pacte pour la croissance a été adopté au Conseil européen de juin 2012 sous l'impulsion du président de la République. Parallèlement, le rythme de l'ajustement budgétaire pour les pays européens en déficit public excessif a été infléchi.
G. C. - La vigueur des ajustements opérés sur les comptes publics des pays européens nourrit des mouvements contestataires et populistes. Les plus pessimistes prédisent une crise sociale, suivie d'une crise politique. Partagez-vous cette crainte ?
P. M. - Je n'oppose pas sérieux budgétaire et croissance : il ne peut y avoir de croissance durable sans maîtrise des finances publiques et sans confiance. Il est indispensable de réduire la dette si l'on veut retrouver des marges de manoeuvre et préparer l'avenir. Mais je ne nie pas, pour autant, l'effet qu'ont eu les politiques d'austérité sur la croissance européenne, trop faible, et sur le chômage, qui atteint des niveaux socialement insoutenables dans de nombreux pays. C'est pourquoi nous avons voulu sortir de cette logique et remettre la croissance au coeur des priorités de l'Europe. Nous avons obtenu de la Commission qu'elle introduise plus de flexibilité dans l'application des règles de gouvernance budgétaire communes. Cet assouplissement a permis à la France, comme à d'autre pays, de bénéficier d'un peu plus de temps pour ramener le déficit sous le seuil de 3 % du PIB. Il faut aller plus loin. Pour redonner envie et espoir aux Européens, en particulier aux jeunes, l'Europe ne doit pas …