Galia Ackerman - Monsieur Gratchev, vous êtes demeuré proche de Mikhaïl Gorbatchev, dont vous avez été le dernier porte-parole. Que pense-t-il de Vladimir Poutine ? Sa perception de son lointain successeur a-t-elle changé avec le temps ?
Andreï Gratchev - La position de Gorbatchev à l'égard de Poutine - comme la mienne, d'ailleurs - a évolué au fur et à mesure que le phénomène Poutine évoluait. Le président actuel est arrivé aux commandes de l'État après Boris Eltsine - ce même Eltsine qui, ne l'oublions pas, avait provoqué la démission de Gorbatchev et l'éclatement de l'Union soviétique alors que Gorbatchev, lui, aurait voulu préserver l'URSS et en faire une sorte de confédération. Au cours des deux mandats de Boris Eltsine, l'État russe s'est significativement affaibli. Quand il lui a succédé, Poutine a promis d'inverser cette tendance et de renforcer la Russie. C'est pourquoi, d'un point de vue politique mais aussi personnel, Gorbatchev a considéré au départ la démarche poutinienne comme un phénomène positif et stabilisateur. Il a également apprécié le fait que Poutine ait rapidement mis fin aux aspects les plus outranciers, les plus absurdes de l'époque eltsinienne, comme l'emprise des oligarques sur la vie politique. Je le répète : Gorbatchev avait l'impression que Poutine était décidé à restaurer les fonctions fondamentales de l'État, y compris ses responsabilités sociales. Je rappelle que - en bonne partie grâce à la hausse des prix du pétrole - c'est sous Poutine qu'on a commencé à payer régulièrement les salaires et les retraites.
En outre, dès son accession au pouvoir, Poutine a affiché le souci de rétablir une certaine autonomie de la politique extérieure de la Russie - ce qui n'était pas le cas sous Eltsine et, en particulier, dans la première moitié des années 1990. Ce retour en force de la Russie sur la scène internationale plaisait à Gorbatchev.
Mais, dès le second mandat de Vladimir Poutine, entamé en 2004, Gorbatchev est devenu très critique en raison des atteintes aux libertés qui se multipliaient dans le pays. Et, quand en 2011 Poutine (qui était devenu premier ministre en 2008, à l'issue de son second mandat) a annoncé qu'il serait candidat à la présidentielle de 2012, Gorbatchev a été parmi les premiers à lui demander de renoncer à ce projet. À ses yeux, un troisième mandat, même après une pause de quatre ans, eût violé l'esprit de la Constitution, même s'il en eût respecté la lettre. Comme vous le savez, notre Loi fondamentale interdit à un même individu d'effectuer plus de deux mandats présidentiels consécutifs.
G. A. - Justement, en 2008, à l'issue de ses deux premiers mandats, Poutine a cédé sa place au Kremlin à Dmitri Medvedev. Celui-ci est resté président de 2008 à 2012. Avez-vous cru qu'il donnerait un second souffle au régime ou bien avez-vous estimé d'entrée de jeu qu'il n'était qu'une marionnette ?
A. G. - J'avais placé certains espoirs non pas dans la personne de Medvedev, mais plutôt dans ce binôme bizarre qu'il formait avec Poutine. C'était une construction …
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