Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le grand retour de la Russie

Syrie, Ukraine, Jeux olympiques d'hiver de Sotchi, présidence du G20 puis du G8 : la Russie se trouve, ces derniers mois, au coeur de l'actualité internationale. Contrastant avec l'impuissance stratégique du pays à la fin des années 1990 - illustrée, en particulier, par son incapacité à empêcher l'élargissement de l'Otan et l'intervention militaire occidentale au Kosovo -, ce « retour » donne lieu à des évaluations divergentes. Généralement considéré comme positif en Asie, en Afrique ainsi que dans de nombreux pays du Proche-Orient et d'Amérique latine, il est, en revanche, jugé inquiétant dans les médias et les cercles politiques américains et européens. Nostalgique de l'Union soviétique, Vladimir Poutine n'aurait, au fond, d'autre projet que de reconstruire un empire et d'engager son pays dans une nouvelle « guerre froide » avec l'Occident.
Analyser la politique étrangère de la Russie de 2013 à travers le seul prisme d'un antagonisme Est-Ouest renouvelé ne permet cependant pas d'en saisir la complexité. Les priorités diplomatiques du Kremlin, ses préoccupations sécuritaires et sa vision du monde sont, en effet, dictées par ses défis internes et par son environnement géopolitique. Les flottements identitaires de la société russe, les tensions au sein de l'islam de Russie, la crise économique persistante en Europe, le basculement du centre de gravité mondial vers la région Asie-Pacifique, la montée en puissance des technologies numériques, la révolution des hydrocarbures de schiste, le changement climatique et son impact en Arctique sont des facteurs autrement plus significatifs dans la définition du positionnement international de Moscou que le dessein néo-soviétique attribué à ses dirigeants.
Comment la Russie voit-elle le monde ? Quels sont les principes qui régissent sa politique étrangère ? Quelles leçons peut-on d'ores et déjà tirer des crises syrienne et ukrainienne ? Les récents succès diplomatiques du Kremlin sont-ils durables ou relèvent-ils d'un effet d'optique ? Puissance assurément ambitieuse, consciente de son histoire et de sa géographie, moins sûre d'elle-même qu'il n'y paraît, la Russie de Vladimir Poutine déploie une politique cohérente et, néanmoins, paradoxale. Fondamentalement conservatrice dans son approche des relations internationales, elle sait également jouer des atouts dont elle dispose à travers une diplomatie économique efficace et tente même d'investir un champ que l'on croyait réservé aux Occidentaux : le soft power.


Syrie : le grand malentendu


C'est autour du dossier syrien que se sont cristallisées, du printemps 2011 à la fin de l'été 2013, les principales tensions russo-occidentales. Le 10 septembre dernier, Vladimir Poutine a proposé de démanteler l'arsenal chimique de Bachar el-Assad sous supervision internationale. Cette initiative a, certes, permis d'éloigner le scénario d'une intervention militaire unilatérale franco-américaine, mais pas de lever les incompréhensions sur la position de Moscou.
La grille d'analyse dominante en Occident met généralement en avant trois éléments : le « soutien indéfectible » du Kremlin au régime de Damas ; les intérêts du complexe militaro-industriel russe ; et une posture de confrontation qui conduirait invariablement Vladimir Poutine à s'opposer aux États-Unis aux quatre coins de la planète. En réalité, aucun de ces arguments ne suffit à …