Les jeux olympiques de Monsieur Poutine

n° 142 - Hiver 2014

Physicien de formation, Boris Nemtsov s'engage dans la vie politique dès la perestroïka, aux côtés de Boris Eltsine et des réformateurs comme Egor Gaïdar (premier ministre en 1992). En 1996, en tant que gouverneur de la région de Nijni-Novgorod, il collecte un million de signatures contre la guerre en Tchétchénie, pétition qu'il transmet au président Eltsine. En 1997, ministre de l'Énergie, il s'oppose à l'appropriation frauduleuse de parts importantes de Gazprom par Rem Viakhirev, président du conseil d'administration de cette holding, et par l'oligarque Boris Berezovski. Vice-premier ministre en 1997-1998, il démissionne après le krach économique subi par la Russie en août 1998. S'il salue l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, il se montre rapidement critique de l'action du nouveau président. Ayant activement soutenu Viktor Iouchtchenko pendant la révolution orange à Kiev (fin 2004), il devient son conseiller en 2005-2006. Homme politique d'opposition, il est également connu pour plusieurs gestes spectaculaires, comme l'ascension du mont Elbrouz à l'été 2010, lorsqu'il a planté au sommet du mont le plus haut de l'Europe (5 642 mètres) le drapeau du mouvement Solidarité, dont il est l'un des dirigeants. Nemtsov est l'auteur de plusieurs rapports accablants sur le régime Poutine, rédigés en collaboration avec d'autres opposants. Son premier rapport sur les JO de Sotchi date d'avril 2009. En mai 2013, il a publié sur Internet, avec un autre responsable de Solidarité, Leonid Martyniouk, un nouveau rapport intitulé « Les JO d'hiver sous les tropiques », où il dénonce la corruption et la mégalomanie associées à ce projet.
G. A.

Galia Ackerman - Monsieur Nemtsov, quelle serait, selon vous, la formule qui désignerait avec le plus de justesse les Jeux olympiques de Sotchi ?
Boris Nemtsov - La réponse va de soi : ces Jeux sont la plus grande escroquerie de toute l'histoire de la Russie. Les Jeux olympiques d'hiver de Sotchi ont coûté à nos citoyens plus de 50 milliards de dollars. Ce sont les JO les plus chers de toute l'histoire du mouvement olympique. Leur coût dépasse toutes les éditions précédentes des JO d'hiver cumulées. Or les premiers Jeux d'hiver ont eu lieu en France, à Chamonix, en 1924 ! L'organisation de cet événement a donné lieu à un pillage colossal des fonds publics qui a bénéficié exclusivement aux amis de Vladimir Poutine et, en tout premier lieu, à Vladimir Iakounine, membre éminent de la coopérative Ozero.
G. A. - Avant d'aller plus loin, pouvez-vous nous dire quelques mots d'Ozero ?
B. N. - Il s'agit d'une coopérative créée à l'origine, en 1996, pour construire un ensemble de villas au bord d'un lac (« ozero », en russe), en Carélie. Cette société a été fondée par huit amis de longue date. L'un de ces hommes était Vladimir Poutine, à l'époque inconnu du grand public. Quatre ans plus tard, il a été élu président. Il a immédiatement propulsé bon nombre de ses amis et anciens collègues - au premier rang desquels ses copains d'Ozero - à des postes de responsabilité. Certains se sont retrouvés dans son administration, d'autres dans des ministères, d'autres encore dans de grandes entreprises publiques... Et tous se sont enrichis de façon fulgurante. Exemple parmi d'autres : Vladimir Smirnov, le président de cette coopérative, devenu PDG de Tekhsnabeksport, entreprise monopolistique dans le domaine des livraisons pour toute l'industrie nucléaire russe. Cet enrichissement occupe d'ailleurs tout un chapitre du rapport « Poutine, la corruption », dont je suis l'un des auteurs.
G. A. - Quel rôle Vladimir Iakounine a-t-il tenu dans la préparation des Jeux ?
B. N. - Je rappelle que M. Iakounine dirige depuis 2005 les Chemins de fer de Russie (RJD), qui sont une compagnie appartenant à 100 % à l'État. Auparavant, il a occupé le poste de vice-ministre des Transports. Nous avons découvert que ce fidèle serviteur de l'État possède un domaine dans le district de Domodedovo, au village d'Akoulinino. D'après les agents immobiliers que nous avons interrogés, le prix de sa propriété s'élève à 75 millions de dollars. Or le salaire officiel de Iakounine est de 1,5 million de dollars par an. Faites le calcul... Les documents que nous avons consultés prouvent qu'il a commencé à faire édifier ce domaine précisément à l'époque où il s'est mis à détourner l'argent destiné aux JO.
Ce détournement a pris des formes multiples. Iakounine a, en particulier, fait construire la route la plus chère du monde. Il s'agit d'une voie multimodale de 48 km qui relie la ville d'Adler à la station de ski Krasnaïa Poliana, à la fois par le rail et par la …

Sommaire

Europe : l'après-crise

Entretien avec Pierre Moscovici par Gaëtan de Capele

Les cinq sages de Madame Merkel

Entretien avec Peter Bofinger par Jean-Paul Picaper

Une certaine idée de la Hongrie

Entretien avec Viktor Orban par Antoine Vitkine

République tchèque : gérer l'Etat comme une entreprise

Entretien avec Andrej Babis par Luc Rosenzweig

Combattre la politique d'austérité

Entretien avec Mario Soares par Grégory Rayko et Xavier d'Arthuys

Ce que l'Europe apporte au monde

par Herman Van Rompuy

Ce n'est qu'un au revoir

Entretien avec Mikheïl Saakachvili par Isabelle Lasserre

Le grand retour de la Russie

par Arnaud Dubien

Les jeux olympiques de Monsieur Poutine

Entretien avec Boris Nemtsov par Galia Ackerman

Le fléau de la corruption

Entretien avec Sergueï Guriev par Grégory Rayko et Isabelle Lasserre

La "démocrature" russe

Entretien avec Andreï Gratchev par Galia Ackerman

Requiem pour l'arme chimique ?

par Olivier Lepick

Syrie : l'enlisement

par Jean-Pierre Perrin

Etats-Unis : les hommes (et les femmes) du Président

Entretien avec Edward Luttwak par Olivier Guez

Ce que l'affaire "Prism" dit de l'Amérique

par Anne-Lorraine Bujon

Obama, Kerry et le Moyen-Orient

par Laurence Nardon

Les défis régionaux du Maroc

Entretien avec Nizar Baraka par Frédéric Encel

Le Maroc, terre d'investissements

par Anne-Marie Idrac

Le Maroc et l'Europe

Entretien avec Ana Palacio par Baudouin Bollaert

Les atouts de l'économie marocaine

Entretien avec Lionel Zinsou par Frédéric Encel

Les sept piliers de l'économie marocaine

par Khattar Abou Diab