En avril prochain auront lieu les élections législatives hongroises. Le premier ministre Viktor Orban, président de la FIDESZ-Union civique hongroise - le parti dominant au Parlement (monocaméral), où il dispose des deux tiers des 386 sièges, ce qui lui permet de modifier la Constitution à sa guise -, en est le grand favori. Nommé chef du gouvernement une première fois en 1998, à 35 ans, sur un programme libéral et pro-européen, battu en 2002, il est revenu au pouvoir en mai 2010, dans un contexte de crise économique sévère. En trois ans et demi, il a mis en oeuvre des mesures drastiques, n'hésitant pas à réaliser des coupes claires dans les dépenses publiques. Sa rhétorique autoritaire, ultra-conservatrice et, désormais, eurosceptique lui vaut l'adhésion d'une grande partie de ses concitoyens mais, aussi, la défiance de ses partenaires de l'UE. Le 2 juillet 2013, M. Orban a été contraint de se justifier devant le Parlement européen qui venait de voter un rapport très critique sur sa gestion du pays.
Ses discours dénoncent régulièrement, avec la plus grande virulence, la Commission de Bruxelles, le FMI et les multinationales qui, selon lui, voudraient mettre son pays en coupe réglée. Depuis son retour au pouvoir, M. Orban a fait adopter plusieurs amendements que l'UE a jugés contraires aux valeurs européennes. Il a, en particulier, instauré un contrôle accru sur la Banque centrale, sur la justice, sur les médias et sur le Parlement (1). L'UE l'a, d'ailleurs, obligé à revenir sur celles des mesures jugées contraires aux traités signés par la Hongrie suite à son adhésion en 2004 (2).
La vie politique hongroise est marquée par le poids du Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie), parti d'extrême droite au discours ouvertement antisémite et anti-rom, qui compte 43 sièges au Parlement. Face à la montée du nationalisme, M. Orban a repris à son compte et fait adopter plusieurs propositions avancées par cette formation radicale, comme la criminalisation des personnes dormant dans la rue, le travail obligatoire pour les chômeurs sous peine de perdre leurs allocations, la référence à Dieu et à la famille dans la Constitution. Dans le même temps, le gouvernement Orban s'est montré intraitable sur les dérives du Jobbik. Il a, notamment, ordonné la dissolution de sa milice, accusée de violences contre les Roms. Résultat de cette politique : le Jobbik, qui avait obtenu 17 % aux législatives de 2010, plafonne à 11 % d'intentions de vote dans les sondages les plus récents.
Cet entretien à bâtons rompus est exceptionnel à un double titre : non seulement Viktor Orban a accepté pour Politique Internationale de s'expliquer de façon détaillée sur son action controversée, ce qu'il fait très rarement ; mais, par surcroît, il a, pour la toute première fois, accordé une interview à un journaliste étranger sans le concours d'un traducteur, en anglais, langue qu'il maîtrise parfaitement pour avoir étudié un an à Oxford au début des années 1980. Il entend ainsi, explique l'un de ses conseillers, montrer son ouverture sur le monde...
A. V.
Antoine Vitkine - Monsieur Orban, on vous présente souvent comme un grand communicateur. Quelle part la communication occupe-t-elle dans la politique ?
Viktor Orban - Plus de la moitié ! Disons qu'environ un tiers de ce métier consiste, pour un dirigeant, à trouver une bonne idée et à l'inscrire dans un programme politique ; 10-15 % à en débattre, au Parlement notamment ; et 50 % à la présenter aux citoyens ! Vous pouvez appeler cela de la communication. Les proportions n'étaient pas les mêmes il y a cent ans, c'est certain. Mais la politique moderne est ainsi faite. Je trouve que c'est une bonne chose. Les affaires publiques sont, de nos jours, plus démocratiques qu'elles ne le furent jamais auparavant dans l'Histoire ; les gens doivent être impliqués ; or la meilleure manière de les impliquer, c'est la communication.
A. V. - Votre pays est-il difficile à gouverner ?
V. O. - Faire de la politique en Europe centrale, c'est toujours compliqué ! Mais, lorsque je repense au milieu des années 1980, quand sont nés les mouvements de résistance au communisme, je me rends compte qu'il était encore plus difficile d'agir en politique que maintenant. L'ombre de l'URSS planait sur notre pays, l'Armée rouge était déployée chez nous, tous les médias étaient sous contrôle, la police était omniprésente. Pour ceux qui, comme moi, ont connu cette époque, les temps actuels sont tout à fait paisibles...
A. V. - Vous avez récemment inauguré une usine de la compagnie de télécommunications chinoise Huawei dans les environs de Budapest. À cette occasion, je vous ai entendu glisser à l'ambassadeur chinois : « Au moment où l'Europe est en proie à de lourds débats sur son avenir, le fait que vous soyez là, que je sois là avec vous, est un message fort. » De quel message s'agit-il, exactement ?
V. O. - Ma conviction, c'est que l'Europe a besoin de redéfinir sa stratégie globale. Depuis plusieurs années, en grande partie à cause de la crise, l'Europe a perdu une part de sa compétitivité économique et de son influence politique à l'échelle planétaire. Si elle souhaite redevenir l'un des grands acteurs internationaux, elle doit agir différemment. On ne peut plus se conduire dans l'arène mondiale comme il y a dix ans ! Le temps est venu de repenser notre approche des relations internationales. Et, de ce point de vue, l'une des questions les plus brûlantes est celle-ci : comment l'Europe peut-elle améliorer ses relations avec la Chine, qui est une puissance émergente majeure dans le monde ? Il est, bien sûr, tout aussi primordial de décider comment l'Europe pourrait organiser ses rapports avec les États-Unis, sur la base du libre marché. Sans oublier de redéfinir nos relations avec les Russes, qui sont à nos portes et dont nous dépendons tellement pour notre approvisionnement énergétique que nous n'avons d'autre choix que d'entretenir avec eux des liens étroits. Bref, il me semble que les pays de l'UE se focalisent trop sur l'amélioration de leur compétitivité …
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