Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le retour du Saint Empire

Septembre 2005. Au lendemain de la victoire électorale qui fait d'elle la première femme chancelier d'Allemagne, un journaliste demande à Angela Merkel de résumer son projet. La réponse fuse, concise : « Je veux mettre l'Allemagne au sommet de l'Europe. » Mission accomplie. Désormais l'Europe a un numéro de téléphone : celui de la chancelière. C'est elle qui discute avec Vladimir Poutine pour tenter de sortir de la crise ukrainienne. C'est elle l'interlocuteur privilégié sur le Vieux Continent de Xi Jinping comme de Barack Obama. Ce leadership politique, que l'Allemagne acquiert peu à peu, elle le doit à son hégémonie économique.
L'Allemagne est le seul grand pays, avec la Chine, à avoir traversé la crise sans trop de dommages et à continuer d'accumuler les excédents là où les autres ont vu leurs déficits se creuser. En dix ans, de 2004 à 2013, sa balance des comptes courants (1) a dégagé un excédent cumulé de 1 994 milliards de dollars (plus de 200 milliards de dollars chaque année depuis 2007). Ces résultats sont dus, pour l'essentiel, à la balance commerciale. Car, en matière de tourisme - même si Berlin redevient une destination phare -, l'Allemagne n'engrange pas les mêmes recettes que la France, l'Espagne ou l'Italie. En 2013, les excédents purement commerciaux ont battu le record de 2007 : 198,9 milliards d'euros. À comparer avec le déficit de la France : 61,2 milliards d'euros. Oui, Angela Merkel a atteint son objectif. Et il ne faut pas chercher plus loin les raisons de sa victoire électorale à l'automne 2013. L'Allemagne est bien au sommet de l'Europe. À vrai dire, elle l'était déjà... à la fin des années 1980.


Une domination qui vient de loin


Dans un monde où tout va plus vite et qui vit dans l'instant, les mémoires paradoxalement s'effacent. On a oublié que l'Allemagne des années 1980 était déjà le numéro un mondial à l'exportation, à égalité avec le Japon. Aujourd'hui, c'est avec la Chine. Trois pays qui ont développé une stratégie purement mercantiliste axée sur les exportations afin d'accumuler des réserves financières pour répondre aux besoins d'une population vieillissante.
L'usine des usines du monde
Il y a près d'un quart de siècle, tous les grands pays industriels accusaient un déficit commercial vis-à-vis de l'Allemagne, devenue l'usine du monde, ou plutôt l'usine des usines du monde. Grâce aux trois héritiers de l'IG Farben - Hoechst, Bayer et BASF -, elle est alors le premier exportateur mondial de produits chimiques. Ses machines, qui commencent à intégrer l'électronique, équipent près de la moitié des mines du monde et 40 % des imprimeries. Le tiers des équipements dans la sidérurgie sont made in Germany. L'Allemagne occupe une position dominante dans les biens d'équipement. Comme à la fin du XIXe siècle.
Son positionnement, haut de gamme, sur de multiples niches rend l'industrie allemande insensible aux réévaluations successives du mark. Pas plus qu'elle n'est gênée, aujourd'hui, par un euro fort. Car, bien souvent, ses produits de niche se retrouvent en situation de monopole. Ils sont …