Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'Europe intégrée ou le déclin...


À 61 ans, Guy Verhofstadt, qui fut pendant presque dix ans le premier ministre de la Belgique (1999-2008), conserve l'allure et la fougue de ses jeunes années... l'expérience en plus. Ce juriste de formation, né dans la région de Gand, régionaliste flamand à ses débuts puis surnommé « baby Thatcher » un peu plus tard, est aujourd'hui l'un des hommes les plus écoutés sur les dossiers européens. D'abord, parce qu'il préside le groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE) au Parlement européen (le troisième en importance après le Parti populaire européen (PPE) et les socialistes) ; ensuite, parce qu'il a fondé le très influent « groupe Spinelli » qui rassemble tous les députés fédéralistes, quel que soit leur parti ; enfin, parce qu'il aime débattre et qu'il n'a pas l'Europe honteuse, ce qui lui vaut des passes d'armes homériques avec Nigel Farage, leader de l'UKIP, le parti britannique le plus anti-européen...
Incarnant une ligne plus sociale que le Finlandais Olli Rehn, commissaire en charge des affaires économiques et partisan d'une stricte orthodoxie financière, Guy Verhofstadt a été préféré à ce dernier pour briguer au nom des libéraux le poste de président de la Commission, en juin prochain. À condition que le score de sa famille politique aux élections européennes le lui permette. L'article 17, paragraphe 7, du Traité de Lisbonne stipule, en effet, que les chefs d'État et de gouvernement des 28 pays membres devront « tenir compte » du résultat des élections au Parlement européen, en mai, pour désigner le successeur de José Manuel Barroso.
Amateur de grands vins, de cigares et de vélo, Guy Verhofstadt est un bon vivant, mais aussi un homme d'action et de réflexion qui ne manque pas d'atouts. Face aux favoris, Jean-Claude Juncker (droite modérée) et Martin Schulz (socialiste), il espère bien tirer son épingle du jeu.
B. B.

Baudouin Bollaert - Dans une récente interview au Sunday Telegraph, le premier ministre britannique David Cameron a déclaré : « Les Anglais s'inquiètent de voir leur pays aspiré par les États-Unis d'Europe. C'est peut-être ce que d'autres veulent, mais ce n'est pas pour nous. » Selon vous, leur crainte est-elle fondée ?
Guy Verhofstadt - C'est Winston Churchill qui, le premier, a évoqué les États-Unis d'Europe ! Churchill, c'est une référence, me semble-t-il ! Il a prononcé la formule au lendemain de la Première Guerre mondiale et, de la part d'un homme d'État comme lui, libéral d'abord, conservateur ensuite, ce n'est pas rien... Certes, dans son esprit, l'expression s'appliquait aux pays du continent européen et pas à la Grande-Bretagne proprement dite, mais il faut rendre à César ce qui lui revient !
B. B. - Puisque vous êtes fédéraliste, je suppose que l'idée des États-Unis d'Europe vous convient...
G. V. - Si cela signifie plus d'intégration entre les 28 pays qui composent actuellement l'Union européenne, ma réponse est évidemment oui ! Dans le monde globalisé d'aujourd'hui et plus encore dans celui de demain, qui sera dominé par des empires - la Chine, l'Inde, la Fédération de Russie, les États-Unis -, comment voulez-vous que l'Europe pèse si elle n'est pas davantage intégrée à la fois économiquement, politiquement et militairement ? Si nous voulons continuer à défendre nos idées et nos valeurs, nous n'avons pas le choix. Peut-être que les Britanniques ne nous suivront pas. Tant pis pour eux...
B. B. - Avez-vous le sentiment que l'Union européenne se dirige vraiment vers une intégration renforcée ?
G. V. - Le problème est qu'elle s'y prend d'une mauvaise manière. Depuis la crise financière, les États membres savent pertinemment qu'ils doivent faire plus de choses en commun. Mais ils hésitent, décident trop tard, en s'arrangeant toujours pour conserver leurs pouvoirs nationaux... On en arrive à des solutions purement intergouvernementales qui marchent mal ou sont trop compliquées à mettre en oeuvre.
B. B. - Les États-Unis s'en sortent-ils mieux que nous ?
G. V. - Absolument. Ils ont mis deux ans à sortir de la crise financière en s'attaquant à la racine du mal, autrement dit en fermant des banques, en en recapitalisant d'autres et en injectant des centaines de millions de dollars dans l'économie. Résultat : ils ont retrouvé une croissance de 2 à 3 %. Chez nous, la crise bancaire n'a pas été résolue. L'argent qui se trouve dans les banques n'est pas transféré dans l'économie réelle. La vraie crise en Europe est là : le blocage entre les institutions financières d'une part, et l'économie réelle d'autre part. C'est surtout vrai dans le sud de l'Europe où les petites et moyennes entreprises doivent parfois payer des taux d'intérêt de 6, 7, voire 8 % pour financer leurs projets - ce qui est, naturellement, insoutenable.
B. B. - Le projet d'union bancaire n'est-il pas en bonne voie ?
G. V. - L'union bancaire est une nécessité, mais nous ne sommes pas capables de la …