Immobilisme, voire fossilisation de la scène politique ; vide politique sidéral ; aggravation des luttes sempiternelles et toujours plus opaques au sommet de l'État... Plus que jamais, le statu quo domine en Algérie. C'est une exception dans une région en plein bouleversement. Alger semble très loin de l'effroyable guerre civile qui dévaste la Syrie ; du chaos qui prévaut dans une Libye où l'État central est impuissant à endiguer les affrontements de milices rivales surarmées ; et de l'offensive, en Irak, des djihadistes de l'État islamique (EI). Moins rassurant, en revanche, pour l'avenir de cette Algérie qui s'est forgée une image de « république-nationaliste-et-militaire-solide-et-prospère » : son évolution est aux antipodes de celle de la « petite » Tunisie voisine, premier et seul pays à avoir fait chuter un dictateur sans retomber dans l'anarchie, la guerre ou l'autoritarisme et qui avance très lentement mais sûrement vers l'édification d'un État pluraliste.
La campagne qui a abouti à la réélection, le 17 avril 2014 (1), d'Abdelaziz Bouteflika restera dans les annales politiques comme l'illustration la plus caricaturale de cette stagnation. Jamais jusqu'ici, même du temps des gérontes de l'ex-URSS, on n'avait vu un mort-vivant ambitionner, à 77 ans, de se succéder à lui-même pour la quatrième fois après avoir été victime d'un accident vasculaire cérébral. Jamais on n'avait imaginé que Bouteflika, qui n'entend visiblement abandonner le pouvoir qu'en quittant la vie, pourrait être un candidat fantôme déléguant à d'autres le soin de faire campagne à sa place. Nul ne s'attendait non plus à le voir prêter serment, l'air hagard, en chaise roulante, lisant seulement la première des douze pages de son discours d'une voix cassée, quasiment inaudible. C'est pourtant ce qui s'est passé, dans un silence international assourdissant (2) dicté par les impératifs de la realpolitik (3). Avant que le rideau ne retombe sur une scène politique totalement figée et sur des candidats-lièvres qui, présidentielle après présidentielle, servent à crédibiliser un vote joué d'avance.
Du soulèvement de l'espoir à la guerre fratricide
Aussi apparent soit-il, ce calme - qualifié d'« exception algérienne » par les autorités et présenté comme preuve irréfutable de « stabilité » - est un cas d'école s'agissant d'un pays où une grande partie de la société se trouve en rupture totale avec le système. On n'y compte plus les grèves de la faim, immolations, manifestations, affrontements avec la police, jacqueries localisées et caillassages des sièges des administrations comme si celles-ci symbolisaient l'autisme auquel se heurtent toutes les revendications...
On conçoit dès lors difficilement que rien ne bouge dans cette Algérie où le mécontentement populaire est si profond qu'une étincelle peut tout enflammer. Le pays concentre, en effet, tous les ingrédients d'une explosion sociale incontrôlable : autoritarisme, immenses disparités de revenus, chômage massif (4), manque de quelque cinq millions de logements, système éducatif en lambeaux, misère des laissés-pour-compte (5) qui voient de nouveaux nababs exhiber avec arrogance leurs fortunes mal acquises, corruption endémique (6) qui permet de neutraliser les concurrents, de discréditer les adversaires et de fragmenter l'élite politique, …
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