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Les Kurdes face à leur destin

Au printemps 2014, l'offensive militaire en Irak du groupe radical sunnite « État islamique » (EI), qui opère à partir de la Syrie, a brutalement confirmé la décomposition accélérée de ces deux États. Mais un autre pays a, lui aussi, été dangereusement fragilisé par cette offensive : la Turquie. Impuissants à contenir le blitzkrieg de l'EI, l'Occident et les sunnites arabes « modérés » comptent, en effet, sur le « rempart kurde » face à la déferlante djihadiste. Une option kurde qui embarrasse Ankara dans la mesure où le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan ne souhaite guère voir cette minorité (près de 15 % des habitants de la Turquie) se renforcer outre mesure... En tout état de cause, les Kurdes apparaissent comme, sinon les maîtres du jeu, tout au moins un protagoniste majeur des recompositions politiques à l'oeuvre dans le triangle Irak-Syrie-Turquie.
La soudaine montée en puissance de ce peuple qui compte 30 à 40 millions de personnes réparties principalement entre quatre États - l'Irak, l'Iran, la Syrie et la Turquie - est saisissante. Les Kurdes étaient jusque-là oubliés ou victimes de l'histoire régionale. Mais les crises qui se multiplient au Moyen-Orient depuis les « printemps arabes » ont ouvert la boîte de Pandore des revendications ethniques et religieuses, mis fin à des arrangements sociaux séculaires et, même, ouvert la voie à des modifications de frontières. Une chance historique pour le peuple kurde, dont les revendications n'ont pas varié depuis environ un siècle : il exige une reconnaissance culturelle et politique qui déboucherait, si possible, sur la création d'un État.
Ce moment historique cristallise aussi l'extrême complexité du dossier kurde. L'unité, en effet, ne va pas de soi. S'ils se défont du joug des États qui les opprimaient, les Kurdes devront assumer des responsabilités régionales nouvelles, tant militaires que politiques. En auront-ils la capacité ?


La « question kurde »


Réduits au XXe siècle au rang de minorité plus ou moins admise par les États où ils sont présents, marginalisés dans les systèmes de pouvoir, les Kurdes sont longtemps demeurés au second plan de la scène au Moyen-Orient. L'obsession était de contenir leur nationalisme qui a pris, dans les dernières décennies, la forme de guérillas violentes.
Qui sont les Kurdes ?
L'histoire des Kurdes, qui se confond avec les origines du Moyen-Orient, n'a intéressé les observateurs extérieurs que par éclipses. Peuple d'origine iranienne, majoritairement musulman et sunnite, disséminé sur un territoire montagneux de 500 000 km2 - des montagnes et des hauts plateaux du Taurus en Turquie aux monts Zagros en Iran -, les Kurdes se considèrent comme les descendants des Mèdes. Leur présence est attestée dès le Moyen Âge par des sources persanes et arabes. On les connaît surtout par des descriptions anecdotiques et romanticisées de voyageurs, mais le flou se dissipe progressivement dans la deuxième moitié du XXe siècle. C'est à cette époque que la revendication identitaire et nationale kurde commence à s'appuyer sur la mise en valeur d'une culture à part entière, avec ses outils - langue, …