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Lettonie : les défis européens

Lorsque viendra le tour de la Lettonie d'assumer la présidence du Conseil de l'Union européenne, au premier semestre 2015, Edgars Rinkevics se retrouvera sur le devant de la scène. Ministre des Affaires étrangères depuis octobre 2011, ce diplômé de sciences politiques âgé de 41 ans se distingue par une connaissance approfondie des dossiers de défense et de sécurité. Secrétaire d'État à la Défense entre 1997 et 2008, il a participé aux négociations sur l'adhésion de son pays à l'Otan, survenue la même année que son entrée dans l'UE (2004).
Ancien chef de la chancellerie du président de la République Valdis Zatlers de 2008 à 2011, il a rejoint le Parti de la réforme (ZRP, centre droit) que ce dernier a fondé en juillet 2011, juste après avoir échoué dans sa tentative de réélection au suffrage indirect. Devenue la deuxième force au Parlement letton à l'issue des législatives de septembre 2011 (derrière le Centre de l'Harmonie, principal parti représentant les minorités russophones du pays), la formation de Valdis Zatlers se caractérisait par sa volonté affichée de lutter contre la corruption et de favoriser la transparence. Cependant, le ZRP a perdu de sa crédibilité auprès de l'opinion publique (entre autres, pour avoir accepté le retour au gouvernement d'un parti - l'Union des Verts et des Fermiers - financé par l'un des oligarques contre lesquels il avait juré de se battre) et son fondateur a décidé de se retirer de la politique. Comme d'autres personnalités éminentes de ce parti, Edgars Rinkevics a récemment rejoint les rangs du Parti de l'Unité, qui joue un rôle clé dans la coalition gouvernementale au pouvoir depuis 2009. Cette coalition, composée de quatre partis allant du centre droit à la droite ultranationaliste, exclut toute formation représentant la minorité russe du pays (1). Elle a obtenu une majorité de soixante et un sièges sur les cent que compte le Parlement (Saeima) lors des législatives du 4 octobre 2014. Un succès guère étonnant dans la mesure où le contexte actuel, marqué par les tensions opposant Moscou à l'UE, est très favorable à cette coalition opposée à la politique du gouvernement russe.
A. J.



Antoine Jacob - Monsieur le ministre, vous connaissez bien votre grande voisine, la Russie, pour avoir grandi au sein de l'Union soviétique. Quelle analyse faites-vous de l'évolution du régime du président Vladimir Poutine ?
Edgars Rinkevics - Depuis l'accession de Vladimir Poutine au pouvoir, la Russie s'est détournée du chemin que nous espérions la voir emprunter. Nous voulions croire que ce pays évoluerait vers la démocratie, qu'il respecterait les libertés fondamentales et les droits de l'homme... Hélas, nous avons assisté au cours des quinze dernières années à une transition progressive vers un régime autoritaire qui a nettement réduit les libertés de rassemblement et d'expression, qui a muselé les médias, etc. Ce tournant s'est également manifesté en matière de politique étrangère. La guerre en Géorgie, à l'été 2008, a été le premier coup de semonce. À l'époque, la diplomatie européenne - et, en particulier, les efforts de médiation déployés par le président Nicolas Sarkozy lors de ses voyages à Moscou et à Tbilissi - avait permis de mettre un terme aux hostilités. Mais nous n'avons pas bien réalisé, à ce moment-là, que ce conflit ne concernait pas uniquement l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie : il était le reflet de changements plus fondamentaux à l'oeuvre au sommet du pouvoir russe. Une fois les combats terminés, nous sommes retournés, dans nos relations avec notre voisine, au business as usual. Les pays baltes, y compris la Lettonie, ont fait de leur mieux pour participer à la politique de réchauffement des relations avec Moscou - politique impulsée par Washington et qualifiée de « reset ». Dès 2009, nous avons renoué des contacts bilatéraux à un haut niveau (ils avaient été suspendus pendant la crise géorgiennne). Avec nos partenaires européens, nous avons oeuvré à l'instauration d'une politique aussi constructive que possible envers la Russie. Les récents événements obligent à admettre que nous n'avions pas pris la mesure de la transformation de la politique étrangère du Kremlin...
A. J. - Comment décririez-vous cette politique étrangère russe ?
E. R. - En premier lieu, c'est une politique révisionniste : elle cherche à réviser l'ordre international établi après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si je ne m'abuse, l'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie est le premier acte du genre en Europe depuis 1945 ! Nous avons aussi assisté, dans les discours des responsables moscovites, à la montée en puissance d'une idée, la défense du « monde russe », et d'une ambition : l'expansion de la sphère d'influence russe. Autrement dit, un revival de l'empire soviétique ! Les médias généralistes russes ne cessent de promouvoir ces objectifs. Naturellement, ces tendances nous inquiètent beaucoup, étant donné notre propre expérience historique : comme vous le savez, la Lettonie a été occupée et annexée par l'Union soviétique en 1940 (2).
En outre, nous constatons que la Russie n'est pas principalement intéressée par la coopération économique, quels que soient les bénéfices que nous pourrions tous en retirer. Ce qui la motive, ce sont surtout des objectifs politiques, je dirais …