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Liban : une nouvelle terre de jihad?

Après s'être longtemps cru à l'abri des réseaux d'Al-Qaïda en raison de sa structure multiconfessionnelle, le Liban découvre une nouvelle forme de violence : celle des jihadistes. Une série d'attentats meurtriers a révélé l'existence d'une véritable infrastructure opérationnelle et, surtout, d'un vivier de kamikazes libanais recrutés sur place (1). Dans l'imaginaire collectif des Libanais, ce modus operandi restait l'apanage des militants chiites du Hezbollah pendant la guerre de 1975-1990. Quelque trente ans plus tard, le jihadisme a changé de camp : il n'est plus l'oeuvre des islamistes radicaux chiites, mais des groupes salafistes sunnites. Ceux-là mêmes qui tiennent désormais des régions entières en Irak et en Syrie.
Depuis le début de l'insurrection contre Bachar el-Assad en 2011, le Liban résiste tant bien que mal au conflit qui ravage son voisin syrien. Mais l'émergence de l'État islamique en Irak et au Levant (EILL) et sa progression fulgurante en Irak et en Syrie, où il a proclamé un califat, représentent une menace d'une autre nature. D'autant que la nouvelle guerre déclarée le 11 septembre 2014 par les États-Unis contre l'EIIL (qui s'est rebaptisé État islamique (EI) après la prise de Mossoul) s'annonce longue et compliquée, de l'aveu même de Washington.
Si le Liban, à l'instar d'autres pays de la région, est confronté depuis plusieurs années à la radicalisation de groupes islamistes, le péril se fait désormais plus pressant. Les affrontements qui ont opposé en août 2014 des éléments du Front al-Nosra (la branche syrienne d'Al-Qaïda) et de l'État islamique à l'armée libanaise marquent une nouvelle escalade : le risque est grand de voir le Liban considéré par ces mouvements comme une « terre de jihad », au même titre que la Syrie et l'Irak.


Un terreau favorable


En réalité, l'islamisme sunnite se développe au Liban depuis près de deux décennies. Les spécificités du pays n'en font pas a priori un terrain favorable à l'islamisme : mixité confessionnelle ; petitesse du territoire ; communauté sunnite anciennement urbanisée et de culture plus ouverte que les milieux ruraux... Mais il présente aussi des points communs avec les pays où ont émergé les mouvements radicaux : déliquescence de l'État ; paupérisation et marginalisation politique des populations concernées... Surtout, en empêchant la consolidation d'un État central et d'une identité nationale, le système libanais a facilité la radicalisation des deux communautés musulmanes du pays, chiite et sunnite. Le Hezbollah chiite, soutenu par l'Iran, a su encadrer le mouvement. Côté sunnite, en revanche, cette évolution a été plus fragmentée, d'autant qu'aucun leader charismatique ne s'est imposé à l'instar d'un Hassan Nasrallah pour le Hezbollah. Autre différence : le Hezbollah a longtemps bénéficié d'un appui étatique au nom de la résistance à Israël, qui a occupé le sud du Liban jusqu'en 2000 ; au point qu'aujourd'hui les groupes jihadistes justifient la multiplication de leurs attaques contre l'armée libanaise en l'accusant d'être « inféodée au parti chiite ». Les groupes radicaux sunnites, eux, ont toujours été considérés comme une menace par le régime minoritaire alaouite au pouvoir à Damas, dont l'armée …