Les Grands de ce monde s'expriment dans

Regards croisés sur la FED et la BCE


Jean-Pierre Robin - Six ans après l'éclatement de la crise économique mondiale la plus grave depuis les années 1930, les États-Unis connaissent une véritable reprise - contrairement à l'Europe. N'est-ce pas un constat affligeant pour l'Union monétaire européenne ?
Edmond Alphandéry - Incontestablement, l'économie américaine est sortie de la crise alors que la zone euro, elle, n'en a toujours pas fini avec la « grande récession », avec une croissance en berne et un chômage qui en moyenne est près du double de celui des États-Unis.
La comparaison des politiques monétaires est intéressante car nous avons affaire à deux zones monétaires à monnaie unique dont la population et le niveau de maturité économique sont du même ordre. Mais leurs structures politiques sont différentes : les États-Unis constituent un État fédéral alors que l'Union monétaire européenne compte dix-huit États différents, chacun menant sa propre politique économique. En réalité, deux crises distinctes se sont succédé : la première, d'ampleur mondiale, dont l'épicentre a été américain ; et la seconde, à partir de 2010, qui a touché l'Europe de la zone euro et qui est restée régionale.
J.-P. R. - Tout a commencé avec la crise des subprimes aux États-Unis en 2007...
E. A. - Certes, le point de départ le plus visible a été le secteur du logement. Les fameux crédits « subprimes » - ces crédits hypothécaires octroyés à des ménages peu solvables -, titrisés par les banques, se sont diffusés à l'ensemble du secteur financier. Ces produits de titrisation, regroupés dans des CDO (Collateralized Debt Obligations), étaient opaques, mal réglementés et affectés d'un rating discutable. D'où le vent de panique qui s'est déclenché à l'automne 2008 au lendemain de la faillite de Lehman Brothers : brusquement, les opérateurs ont pris conscience des risques que faisait courir la détention de tels actifs. Lorsque le secteur bancaire américain a été touché par la contagion, on s'est mis à évoquer le krach de 1929 et la Grande Dépression qui l'a suivi.
J.-P. R. - Heureuse coïncidence, le président de la Fed Ben Bernanke avait consacré la majeure partie de sa carrière universitaire à la crise des années 1930...
E. A. - Ben Bernanke est un spécialiste de l'étude de cette période marquée par les travaux de Milton Friedman et Anna Schwartz. Ces deux économistes ont montré comment la politique de la Banque de réserve fédérale a aggravé la crise des années 1930. L'erreur de la Fed est bien connue : alors que des milliers de banques faisaient faillite, les établissements bancaires cherchaient logiquement à accroître leurs propres liquidités pour tenter de faire face aux retraits de billets du public. La Fed en a conclu qu'il n'était pas nécessaire de les alimenter en liquidités supplémentaires puisqu'elles en disposaient en abondance. Or, ce faisant, elle a obéré la capacité des banques à s'approvisionner en liquidités et les a rendues encore plus vulnérables à la crise systémique qui faisait rage. Friedman et Schwartz ont été les premiers à établir le cadre théorique de ce que devait …