Les Grands de ce monde s'expriment dans

Antiterrorisme à l'allemande


Assistons-nous au retour de la guerre froide ? Sommes-nous à la veille d'une Troisième Guerre mondiale ? Les observateurs les plus sérieux en viennent à poser des questions qu'on aurait jugées invraisemblables il y a encore quelques années. Il est vrai que le monde actuel bascule. Le fanatisme et le terrorisme s'immiscent violemment dans nos sociétés. Aussi sommes-nous allés quérir le diagnostic de l'un des hommes les mieux informés sur ces menaces en Europe, le Dr Hans-Georg Maassen, chef du contre-espionnage et de la lutte antiterroriste en Allemagne. Une interview exceptionnelle réalisée au siège de son service, dans la grande banlieue de Cologne.
Né en 1962 à Mönchengladbach en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Hans-Georg Maassen est docteur en droit. À partir de 1991, il a occupé divers postes au ministère fédéral de l'Intérieur : contrôle de l'immigration, droit des étrangers, dossiers de la police. En 2008, il a été chargé du lourd secteur de la lutte antiterroriste. Depuis le 1er août 2012, ce « patron » chaleureux et dynamique qui n'a rien d'un bureaucrate dirige l'Office fédéral pour la protection de la Constitution, le BfV. Autrement dit, il est devenu le spécialiste allemand de la chasse aux espions et de la prévention des attentats.
J.-P. P.


Jean-Paul Picaper - Monsieur Maassen, comment définiriez-vous la vocation des services que vous présidez ?
Hans-Georg Maassen - L'Office fédéral pour la protection de la Constitution (1) est chargé du renseignement intérieur. Comme ses homologues étrangers, il s'occupe de la lutte antiterroriste, de la lutte contre l'extrémisme et du contre-espionnage. Mais à la différence de nombre d'entre eux, il n'est pas une autorité de police. Nous ne sommes pas habilités à procéder à des arrestations, à effectuer des fouilles et autres activités policières. Inversement, la police allemande n'a pas les compétences qui sont les nôtres. La République fédérale d'Allemagne s'est imposée l'obligation de séparer les organes de police de ceux du renseignement. Après la guerre, on a évité de recréer un service ressemblant à la Gestapo qui cumulait, elle, ces deux fonctions.
J.-P. P. - Travaillez-vous néanmoins avec la police ?
H.-G. M. - Oui, nous travaillons main dans la main avec la police pour échanger certaines informations dans les domaines de la sécurité de l'État, de la lutte antiterroriste et du contre-espionnage. Nous ne révélons pas nos sources ; mais lorsque, au fil de nos enquêtes, nous parvenons à des conclusions qui pourraient mener à des arrestations, nous les partageons avec elle.
J.-P. P. - Le BfV emploie 2 800 collaborateurs répartis entre vos deux sites de Cologne et de Berlin. Combien de départements comptez-vous ?
H.-G. M. - Nous en avons sept : quatre départements spécialisés et trois départements de soutien. Les départements spécialisés sont les suivants : un département consacré à l'extrémisme de droite ; un autre à l'extrémisme de gauche et à l'extrémisme étranger ; un troisième spécialisé dans le contre-espionnage ; et un dernier dévolu à la lutte contre l'islamisme et le terrorisme.
J.-P. P. - Chaque année, vous publiez un rapport d'activité. C'est une pratique tout à fait inhabituelle pour un grand service de renseignement...
H.-G. M. - Notre tâche consiste à conseiller le gouvernement, à soutenir le travail de la police - je vous l'ai dit -, mais aussi à informer l'opinion publique. Notre Rapport annuel est présenté par le ministre de l'Intérieur au cours d'une conférence de presse. Cela fait partie des relations publiques.
J.-P. P. - En quoi consiste votre mission, concrètement ?
H.-G. M. - Nous surveillons les tendances hostiles aux principes de la démocratie, notamment au sein des partis politiques. Nous ne plaçons évidemment pas sous observation des partis qui voudraient modifier la loi ou la Constitution, mais ceux qui remettent en question les valeurs fondamentales de notre État, telles que le régime républicain, la dignité humaine ou l'égalité hommes-femmes. Des organisations islamistes qui proclament leur intention de remplacer la Loi fondamentale (2) par la charia, par exemple.
J.-P. P. - Est-ce le cas du Hamas, que l'Union européenne vient de retirer de la liste des organisations terroristes ?
H.-G. M. - La question posée était de savoir si le Hamas peut être défini comme une organisation terroriste. Nous partons, bien entendu, de l'idée que le Hamas pratique le …