L'histoire d'Abou Bakr al-Baghdadi commence par une énigme. Pourquoi les États-Unis, qui en savent tant et plus sur le chef de l'État islamique (EI), laissent-ils filtrer aussi peu d'informations à son sujet, feignant de n'avoir découvert son importance que tout dernièrement ? La vérité, c'est que, pour les services secrets américains, celui qui s'est autoproclamé calife sous le nom d'Ibrahim (Abraham) n'est certainement pas un inconnu. Le 6 juin 2004, il a été arrêté à Falloudja par l'armée américaine avant, selon le Pentagone, d'être détenu jusqu'en décembre de la même année au camp Bucca (1), près du grand port pétrolier d'Oum Qasr, et d'être libéré sans condition. À cette époque, l'insurrection sunnite contre l'occupation de l'Irak commence à se développer, les attentats se multiplient (2) et tous les prisonniers sont systématiquement interrogés. A-t-il été considéré comme un petit terroriste sans envergure pour être relâché si rapidement ? A-t-il su cacher ses antécédents politiques et criminels ? Est-ce dans les geôles américaines qu'il s'est radicalisé ? Sans être un grand chef jihadiste, l'homme n'était déjà pas un inconnu : il avait beaucoup fait parler de lui par ses assassinats commis dans la ville d'al-Qaïm, dans la grande province sunnite d'al-Anbar, à la frontière irako-syrienne, où il dirigeait la branche locale d'Al-Qaïda. Il se trouvait alors à la tête d'un petit groupe de combattants islamistes appelé « Jeiche al-Sunna wal Jamaa ». Il aurait été, aussi, chargé du transfert des volontaires syriens et saoudiens qui, avec la complicité du régime syrien, affluaient en Irak pour se battre contre les Américains.
Ce qui rend l'énigme plus complexe, c'est qu'une autre date, celle-ci beaucoup plus crédible, circule à propos de la libération de celui qui ne s'appelle pas encore Abou Bakr al-Baghdadi. Selon certaines sources, en effet, il n'aurait pas été détenu sept mois au camp Bucca mais... cinq ans et n'aurait été élargi qu'en 2009 (3).
Les matrices de l'insurrection sunnite
Le camp Bucca, un bouillon de culture jihadiste
S'il a effectivement passé cinq années en prison, où il est entré à l'âge de 33 ans (hypothèse la plus probable), c'est que le futur calife Ibrahim était déjà considéré comme dangereux par l'administration militaire américaine... Dès lors, celle-ci se devrait, aujourd'hui, de faire toute la lumière sur sa période de détention afin de ne pas alimenter les théories du complot si fréquentes dans le monde arabo-musulman - certains voient déjà dans al-Baghdadi une « créature de Frankenstein » engendrée par Israël et/ou la CIA. Ce qui est sûr, c'est que Bucca et les autres camps militaires américains - au nombre de 23, dont le célèbre camp Cropper (près de l'aéroport de Bagdad) où fut détenu Saddam Hussein - ont été les principales matrices des formations jihadistes en Irak. Au total, selon les chiffres fournis par Washington, 88 000 prisonniers ont séjourné dans l'un ou l'autre de ces pénitenciers militaires. Dans une interview accordée au quotidien britannique The Guardian (4), le général Ahmed Obeidi al-Saedi, qui dirige la sixième division de l'armée irakienne (affectée …
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