La guerre pour une blague de potaches ? Ce scénario a priori rocambolesque a cessé de l'être depuis que le régime de Pyongyang a annoncé qu'il était prêt à tout pour empêcher la sortie de The Interview, une comédie sans prétention de Dave Skylark, mais qui tourne systématiquement Kim Jong-un en ridicule. Considérant ce film comme un « acte d'hostilité », la Corée du Nord est donc passée à l'action fin novembre en commanditant une attaque informatique massive contre le producteur Sony Pictures Entertainment qui, dépassé par cette menace inédite, a préféré jeter l'éponge. Fureur de Barack Obama qui, à l'occasion de sa conférence de fin d'année, a publiquement regretté que le studio ait cédé au « cyber-vandalisme » et indiqué qu'il adopterait des « mesures proportionnées, en lieu et en temps voulus ». Mais loin de se laisser impressionner, Pyongyang, qui proclame son innocence envers et contre tous, réclame une enquête bilatérale conjointe et se déclare prêt à des « représailles impitoyables contre ceux qui continueraient à se livrer à ces provocations ».
Gesticulations ou affaire d'État ? En tout état de cause, qu'une question aussi picrocholine atteigne de telles proportions laisse perplexe. Les touristes de l'extrême qui se pressent désormais à Pyongyang, fascinés par le pandémonium nord-coréen, auraient-ils donc raison ? Les Kim seraient des fous à l'ego hypertrophié, des satrapes ubuesques pilotant au gré de leurs caprices déments un régime absurde, devenu au fil des ans l'incarnation du mal absolu. De fait, en soixante-dix ans de pouvoir, l'extravagante « dynastie rouge » n'a apporté à son peuple que guerres et destructions, famine et sous-développement, camps et terreur policière. Le recours généralisé à la délation, l'activisme d'une police politique tentaculaire et la menace oppressante que fait peser le kwanliso, le goulag local, où chacun peut être déporté en famille sans préavis ni jugement, rappellent le crépuscule de la dictature hitlérienne. La Corée du Nord est un État policier, un régime de terreur, un immense camp de concentration dont les Kim sont les kapos.
Cependant, si cet « État voyou », comme le stigmatisait George W. Bush, mérite indubitablement l'opprobre, à s'en tenir au registre de la psychiatrie, de la tragédie et de la morale, on se condamne à ne pas en comprendre la logique. Car la Corée du Nord n'est pas un de ces royaumes de contes et légendes, frappé par une malédiction mystérieuse. Il s'agit plutôt d'une mécanique complexe dont on remonterait en permanence les rouages dans un but unique : durer, par tous les moyens. À ce titre, la terreur fait partie de la panoplie. Mais les Kim s'emploient aussi à séduire et à convaincre et, paradoxalement, ils y réussissent. Si le régime de Pyongyang tient, c'est même parce que l'opinion adhère. Comme Winston Smith, le héros de 1984, la grande majorité des 24 millions de Nord-Coréens aiment leur Big brother.
Force de l'habitude prédisposant à la résignation, atavisme confucéen vouant un culte à l'obéissance, syndrome de Stockholm qui pousse les otages à soutenir leur bourreau …
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