Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le gardien de l'euro

Entrés en mai dernier relativement nombreux au Parlement européen sur des slogans anti-euro, les partis europhobes et leurs émules redoublent aujourd'hui leurs attaques contre une Europe dont ils souhaitent la dislocation. Ils supportent mal que la « crise de l'euro » n'ait pas tué en 2010-2012 la monnaie unique et que cette chance de voir s'effriter l'Union européenne leur ait échappé. Principal responsable de leur défaite, l'Allemand Klaus Regling, qui dirige depuis 2012 le Mécanisme européen de stabilité (MES) (1), nous livre ici ses recettes et adresse un message d'espoir en faveur d'une Europe économique et financière redynamisée. Encore faudrait-il, insiste-t-il, que la France, l'Italie et même l'Allemagne qui, dopée par des succès forcément transitoires, reconstitue l'État providence, se prennent en main à l'instar des pays réformateurs - Grèce, Irlande, Portugal, Espagne Chypre - où la situation s'améliore peu à peu.
Expert financier international aguerri par les bourrasques qu'il a affrontées, libre de toute préoccupation électorale, ce haut fonctionnaire européen de 64 ans, entouré dans sa centrale de Luxembourg d'une équipe plurinationale et diversifiée, n'a rien à perdre, rien à cacher. Pragmatique, il avoue sans détour les erreurs commises, énumère les succès remportés et indique ce qu'il reste à faire. Fils d'un député social-démocrate originaire de Lübeck comme Willy Brandt, mais sans appartenance politique, M. Regling est, de par la diversité des fonctions qu'il a occupées, comme par sa pratique des acteurs et des marchés financiers, un « homme de terrain ». Une expérience fort utile en ces temps difficiles...
J.-P. P.


Jean-Paul Picaper - Monsieur Regling, Angela Merkel a déclaré un jour que l'euro était plus qu'une monnaie. Qu'a-t-elle voulu dire, selon vous ?
Klaus Regling - Que l'euro est la pierre angulaire de l'intégration européenne et qu'il est le symbole de cette intégration. Il n'est utilisé jusqu'à présent que par dix-neuf États membres (2), mais il confère aux pays européens situés aux frontières de la Russie, de l'Ukraine, de la Turquie, du Proche-Orient et du Maghreb un statut particulier qui les distingue de leur voisinage. Cela dépasse évidemment sa fonction monétaire.
Les politologues écrivent livre sur livre pour nous expliquer que l'euro est plus un projet politique qu'économique. Je suis d'un tout autre avis. Je ne partage pas, non plus, l'affirmation que je lis surtout dans la presse anglo-saxonne selon laquelle l'euro n'aurait aucun autre sens que celui d'être une opération politique. Pour moi, en tant qu'économiste, l'euro est naturellement un instrument économique. L'ancien président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, l'avait exprimé à sa manière : « Ne peut être politique que ce qui est bien fait en matière économique. »
J.-P. P. - Mais l'euro n'est-il pas le ciment qui unit l'Europe ?
K. R. - Certes, c'est un ciment pour l'Europe, mais ce n'est pas le seul. Nombre d'autres secteurs qui se sont développés au cours des ans nous unissent. Dans son essence, l'Europe est aujourd'hui très différente de ce qu'elle était au temps des Pères fondateurs. Ceux-ci étaient animés par une conviction profonde : la nécessité de coopérer pour empêcher le retour des guerres. J'en ai fait moi-même l'expérience. Mon père, député au Bundestag, avait connu deux conflits mondiaux. Mais le vécu des générations se modifie. Pour les jeunes qui ont aujourd'hui entre 20 et 30 ans, les guerres sont très loin et le désir de paix ne peut plus constituer leur motivation première. Leurs préoccupations sont avant tout d'ordre économique et européen et ils sont intéressés par la place de l'Europe dans le monde. Toujours est-il que l'Europe est un projet qui n'est plus remis en question, pas même par des États comme la Grande-Bretagne ou le Danemark qui sont les plus sceptiques à son égard. Même en Grèce, après cinq années difficiles, 70 % de la population se prononcent pour le maintien dans la zone euro. Ce résultat remarquable dénote un profond attachement à l'Europe. L'euro est là pour en faire la démonstration.
J.-P. P. - Peut-on dire qu'avec le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, et le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, vous êtes l'un des trois médecins qui veillent sur la santé de l'euro ?
K. R. - J'ajouterai à cette équipe la Commission européenne et les États membres de la zone euro. Bien des choses sont décidées à Bruxelles, à Francfort et à Luxembourg, mais bien d'autres le sont par les États nationaux. Nous ne sommes pas les États-Unis d'Europe. Il faut donc prendre en considération l'ensemble du concert des participants dont nous ne sommes qu'un élément parmi d'autres.
Cela …