Adam Michnik est une icône, non seulement en Pologne mais dans toute l'Europe centrale et orientale. Le directeur de Gazeta Wyborcza, le plus grand quotidien national dont il est également le fondateur, a incarné jusqu'à la chute du Mur de Berlin en 1989 la résistance à l'oppression communiste et à l'occupation soviétique. Né en 1946 dans une famille juive, Adam Michnik s'engagea, dès ses années de lycée, dans une lutte acharnée contre le stalinisme, l'autoritarisme et l'antisémitisme des caciques du Parti communiste polonais. Emprisonné à plusieurs reprises, il fut de tous les combats, de la révolte ouvrière de 1970 sur le littoral baltique aux débuts de Solidarnosc en 1980, en passant par le mouvement estudiantin de mars 1968. Courageux, opiniâtre et brillant, Michnik n'a jamais cessé de rêver d'un socialisme libertaire à visage humain. Élu à la Diète en 1991, il renonce deux ans plus tard à la politique pour se consacrer à ses activités d'essayiste et de journaliste, préférant son indépendance aux palais ouatés de la république polonaise postcommuniste. Il vient de publier en France Mémoires croisées, un livre d'entretiens avec Bernard Kouchner, et demeure un observateur acerbe de la Pologne contemporaine que dirige la présidente du conseil Ewa Kopacz de la Plateforme civique, un parti libéral, conservateur et pro-européen, depuis le 8 novembre 2014.
O. G.
Olivier Guez - Vingt-cinq ans après la chute du Mur de Berlin, comment jugez-vous la transition polonaise ? Est-ce la success story de l'ancien bloc communiste ?
Adam Michnik - Au risque de passer pour un Polonais chauvin, je trouve que la Pologne s'en est très bien sortie. C'est presque un miracle quand on se rappelle d'où l'on vient. En 1989, j'étais persuadé que notre route vers l'Europe et la démocratie serait une via dolorosa. Certes, rien n'a été simple, mais la Pologne est aujourd'hui une démocratie relativement stable, un pays de plus en plus « normal » qui mène une politique étrangère sage et honnête. En matière économique, elle affiche une croissance forte - 4,1 % en moyenne entre 2004, année de l'adhésion à l'Union européenne, et 2013 - alors que le reste de l'Europe tourne au ralenti depuis au moins cinq ans.
O. G. - On vous a connu plus critique !
A. M. - Ce n'est pas de la propagande ! La Pologne a évidemment encore un certain nombre de problèmes à régler : son système de finances publiques ; ses hôpitaux ; ses médecins qui grondent ; quelques différends, minuscules à vrai dire, avec des pays limitrophes comme la Lituanie. Mais ce ne sont que des querelles de clocher, en tout cas rien de dramatique. Dieu merci, nous n'avons pas de minorités nationales qui nous empoisonnent régulièrement la vie, comme certains de nos voisins. Compte tenu de la situation qui était la nôtre en 1989, les transformations de ce dernier quart de siècle sont inespérées.
O. G. - Pourquoi la Pologne a-t-elle mieux réussi que les autres pays d'Europe centrale et orientale ?
A. M. - À l'époque communiste, les élites de l'opposition étaient déjà plus nombreuses que dans les autres pays de l'Est, sans compter qu'une partie de la direction du Parti communiste polonais était, elle aussi, favorable aux réformes. Ce groupe hétéroclite s'est très vite orienté vers l'économie de marché et la démocratie parlementaire. Il y avait un consensus pour la bonne raison que nous nous trouvions dans une situation dramatique : l'économie planifiée n'attirait plus personne, c'était un fiasco complet. Toutes les couches sociales voulaient se libérer de la tutelle de l'économie d'État. Les paysans venaient en ville vendre quelques tomates, des concombres et des patates sur des étals de fortune. C'était l'époque des micro-commerces et des micro-producteurs. Il fallait savoir prendre des initiatives, innover.
Il ne faut pas oublier que, lorsque le Mur est tombé, cela faisait près de dix ans que la société civile était mobilisée. Depuis le début des années 1980, Solidarnosc avait accompli un boulot formidable. En Pologne, la destruction idéologique du régime, la désacralisation du discours du PC se sont opérées par la base. Et, je le répète, la nomenklatura du Parti communiste polonais était plus ouverte que celles des autres satellites soviétiques d'Europe de l'Est. A fortiori que celles de Moscou ou de Kiev. Plusieurs jeunes cadres d'envergure avaient vécu à l'Ouest ou s'étaient frottés aux idées …
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