Les Grands de ce monde s'expriment dans

Pour une géopolitique de la finance


Il n'est pas étonnant que les banquiers aient mauvaise presse. Malgré une surabondance d'informations, le secteur financier demeure largement méconnu. L'opinion publique et ceux qui la façonnent ignorent - ou, dans bien des cas, feignent d'ignorer - les règles qui régissent son fonctionnement, les principes qui le guident et sa véritable utilité économique.
Loin de combattre ce malentendu, les principaux responsables du monde financier semblent eux-mêmes s'y complaire. L'actuel CEO de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, n'a jamais vraiment démenti la citation qui lui a été attribuée par le Times en novembre 2009, selon laquelle un banquier est là pour accomplir le « travail de Dieu ». Lorsque la provocation ou l'inconscience atteignent de tels sommets, l'affaire est entendue : surpayés, cupides et sans scrupules, les banquiers ne vaudraient pas mieux que leur caricature. Leur activité, à la fois mal comprise et décriée, apparaît purement parasitaire aux yeux du grand public. Il est dès lors facile, pour les décideurs politiques, de désigner la finance comme une « ennemie » qu'il convient de dompter ou, du moins, de réglementer très sévèrement.


Le « travail de Dieu »


On peut se demander pourquoi les représentants du secteur financier se préoccupent si peu de corriger cette désastreuse image. Leur négligence paraît d'autant plus incompréhensible que la connaissance et la maîtrise des risques de toute nature constituent la base de leur métier. Récemment interrogé sur le succès de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein en révélait le ressort essentiel : la « paranoïa » (1). Comment expliquer que cette paranoïa s'accommode si bien de l'hostilité unanime des gouvernants, des médias et des citoyens ? La réponse est à chercher dans une analyse géopolitique de la finance et des évolutions qu'elle subit depuis la crise de 2008.
C'est la nature même des rapports entre les États et le monde de la finance qui, depuis lors, se modifie sous nos yeux. L'euphorie de la fin des années 1990 avait conduit de nombreux commentateurs à annoncer l'effacement de l'autorité politique face au pouvoir transnational des grandes entreprises et des marchés. La faillite ou la quasi-faillite en 2008 d'institutions financières majeures, en particulier aux États-Unis, a changé brutalement la donne. L'intervention des pouvoirs publics pour empêcher l'effondrement du secteur bancaire a souvent été perçue comme le signe d'une victoire du politique sur la finance. Aux yeux du plus grand nombre, ce retournement de situation serait désormais définitivement acquis : la tendance actuelle au renforcement de la régulation financière serait la preuve de l'influence retrouvée des États.
Dans les mois qui ont suivi la mise en place des programmes gouvernementaux de sauvetage des banques, les discours des dirigeants européens et américains se sont largement fait l'écho de cette certitude. Elle paraît cependant bien illusoire. Supposer que les États ont repris la main à la faveur de la crise financière, c'est refuser de voir que les équilibres entre le monde politique et le monde financier se sont radicalement transformés durant les quinze dernières années. S'ils veulent en tirer le meilleur parti, les États …