Les Grands de ce monde s'expriment dans

Sortie de crise : la grande stagnation

Dans le numéro de Printemps 2013 de Politique Internationale, nous évoquions l'extrême perplexité des milieux économiques et politiques occidentaux face à une crise qui n'en finit pas. Deux ans plus tard, la situation n'a paradoxalement guère évolué.
Depuis plusieurs mois, les nouvelles économiques en provenance des États-Unis sont certes plutôt favorables, avec un certain regain de la croissance au second semestre 2014, un niveau de chômage redescendu au-dessous de 6 % et un dollar qui remonte par rapport à l'euro. La Réserve fédérale américaine a ainsi pu tenir son engagement de mettre un terme - du moins provisoirement -, avant la fin 2014, à sa politique exceptionnelle de rachats massifs d'actifs (dite politique d'assouplissement quantitatif ou quantitative easing). L'Angleterre, elle aussi, semble avoir retrouvé un second souffle. Mais, en Europe continentale, l'horizon s'assombrit de nouveau avec, fait totalement inattendu, une baisse de l'inflation sensiblement au-dessous de la cible des 2 % affichée par la Banque centrale - ce qui pourrait réenclencher un funeste engrenage de déflation-récession-dépression. Par ailleurs, l'Asie et les économies émergentes - jusque-là épargnées par les effets de la crise - sont à leur tour rattrapées par le ralentissement général de la croissance. En particulier la Chine, dont nombre d'économistes redoutent qu'elle ne devienne prochainement l'épicentre d'une nouvelle déflagration financière. Quant au Japon, ses efforts pour relancer l'activité et l'inflation grâce à un gigantesque programme de création de monnaie banque centrale (Abenomics 2013, du nom du premier ministre nippon) semblent surtout déboucher sur une dévaluation agressive du yen qui risque de rallumer la guerre mondiale des monnaies.
Un chiffre résume mieux que tout autre l'état du chaudron économique et financier sur les bords duquel la conjoncture mondiale continue de surfer. Il s'agit de l'endettement, c'est-à-dire du chiffre total des dettes publiques et privées mesurées par rapport au PIB. Sachant que l'origine de la crise est essentiellement d'ordre financier (le surendettement généralisé des banques et établissements financiers, des entreprises, des ménages et des États, au-delà de toute norme prudentielle réaliste), le meilleur signal de retour à une situation économique à peu près normalisée serait une baisse de ce rapport. Or ce n'est pas ce qui se produit. Bien au contraire. Alors que, pour la période 2009-2010, l'augmentation de l'endettement avait nettement ralenti, depuis 2011, la tendance est à une accélération quasi exponentielle au niveau mondial. Il est inquiétant d'observer que le taux d'endettement des pays développés reste plus élevé que ce qu'il était il y a sept ans (1), lorsque sont apparus les premiers signes d'implosion de la bulle des subprimes.


Une sortie de crise qui se fait attendre


À lui seul ce constat montre que les économies développées sont encore loin d'être sorties de ce que nous appelons « la crise ». On est en droit de se demander si, après avoir connu la Grande dépression des années 1930, la Grande modération des années 1990 (l'ère Greenspan), puis la Grande récession des années 2008-2009, nous ne sommes pas désormais entrés dans un processus durable que la postérité qualifiera …