Victoire de Syriza et bras de fer avec les créanciers de la Grèce. Émergence de nouveaux partis contestataires en Espagne. Élection d'un président polonais très critique à l'égard de l'Union européenne. Installation durable du Front national et de la Ligue du Nord dans les paysages politiques transalpins. Référendum à hauts risques en Grande-Bretagne. Un peu partout, l'euroscepticisme progresse. Si ce désenchantement à l'égard de la construction européenne n'est pas un phénomène nouveau, il est aggravé par la conjonction de plusieurs facteurs. Une cure d'austérité qui dure depuis sept longues années avec un chômage persistant dans l'Europe du Sud. Une immigration sauvage, qui prolifère avec la déstabilisation à l'est et au sud de la Méditerranée. Le terrorisme et la guerre aux portes de l'Europe. Le rejet de la bureaucratie bruxelloise. Le sentiment, chez de larges fractions des populations, d'être peu à peu dépossédées de leur identité et de leur souveraineté et d'être méprisées par les classes dirigeantes.
Au fond, ce dont souffre l'Europe, c'est paradoxalement d'un déficit démocratique. L'Europe est une construction faite par et pour des élites. Celles-ci ne demandent que parcimonieusement leur avis à des peuples qui, à leurs yeux, ne peuvent pas comprendre l'importance d'un projet aussi complexe qu'ambitieux. Voilà pourquoi le projet européen a souvent avancé masqué. Sur des sujets essentiels, on préfère passer par les représentations nationales plus « éclairées » : en fait, plus malléables. Voilà pourquoi ceux qui s'interrogent doutent, contestent, sont rangés en bloc dans la catégorie des populistes, au mieux bornés, au pire xénophobes. Voilà pourquoi le « cercle de la raison », qui nous explique depuis des décennies qu'« il n'y a pas d'autre politique possible », est devenu si impopulaire, voire inaudible. Même si les solutions alternatives sont loin d'être évidentes.
Depuis près d'un quart de siècle, les peuples du Vieux Continent ont souvent manifesté leurs réticences vis-à-vis d'un projet qu'ils ne comprennent plus. Si les pays candidats à l'UE ont toujours approuvé massivement leur adhésion (à l'exception de la Norvège), en revanche, la plupart des référendums se sont soldés par des votes négatifs dans les pays déjà membres. Les plus célèbres « non » étant ceux de la France et des Pays-Bas, en 2005, sur le traité de Constitution européenne. Les Irlandais et les Danois ont également rejeté, dans le passé, les textes européens qu'on leur soumettait. Tous ces peuples ayant mal voté, soit on les fit revoter, soit on fit adopter les textes à peine remaniés par les parlementaires. Ces divers épisodes témoignent du hiatus qui s'est peu à peu installé entre les populations européennes et leurs classes dirigeantes. Sans doute parce que les premières ont le sentiment que, depuis un quart de siècle, l'Europe leur échappe et que son bilan n'est plus aussi globalement positif qu'auparavant. Pour comprendre les états d'âme des Européens, à commencer par ceux des Français, il faut faire un peu d'histoire.
L'Europe, une idée américaine
À l'origine, l'idée d'une Europe unie n'est pas européenne : elle est américaine. Jean Monnet, qui a porté …
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