Les Grands de ce monde s'expriment dans

Et si l'Europe reprenait confiance en elle?

Didier Reynders, né à Liège en 1958, a occupé le poste de ministre des Finances pendant douze ans sans discontinuer sous six gouvernements belges différents avant de devenir ministre des Affaires étrangères dans les gouvernements d'Elio Di Rupo puis de Charles Michel.
Avocat de formation, marié à une magistrate présidente de chambre à la cour d'appel de Liège, père de quatre enfants, il affiche sans le moindre complexe ses idées libérales et prône une Europe politique plus intégrée. Pour lui, le fédéralisme n'est pas le problème mais la solution qui permettra à l'Europe de surmonter ses difficultés internes et sa timidité sur la scène mondiale.
Il aime citer son compatriote Paul-Henri Spaak qui, au lendemain de la dernière guerre, disait : « Il n'y a plus en Europe que de petits États. Si certains le savent, d'autres n'en ont pas encore pris conscience... » Cela ne l'empêche pas de penser que le bon fonctionnement du couple franco-allemand est indispensable à l'Europe pourvu qu'il ne se transforme pas en directoire.
Il plaide pour le maintien de la Grèce et du Royaume-Uni dans l'UE, croit aux vertus d'une Europe à plusieurs vitesses, juge les sanctions contre la Russie efficaces, veut l'autodétermination en Crimée et s'inquiète de la montée de l'islamisme radical sur le Vieux Continent et ailleurs...
B. B.



Baudouin Bollaert - Le 23 avril dernier, au lendemain d'un naufrage qui a coûté la vie à 800 personnes, les chefs d'État et de gouvernement européens se sont mis d'accord sur le principe d'une opération militaire en Méditerranée visant à « neutraliser » les passeurs de migrants qui agissent depuis les côtes libyennes. Où en est-on ?
Didier Reynders - Pour lancer cette opération en Méditerranée, il nous faut soit le feu vert des Nations unies, soit un appel des différentes autorités en Libye. L'un ou l'autre suffira. Au Conseil de sécurité, la Russie hésite. Les discussions sont souvent polluées par d'autres dossiers. En Libye, l'envoyé spécial de l'ONU essaie d'obtenir des réponses, ce qui n'est pas facile dans un pays en proie au chaos.
B. B. - Cette opération vous paraît-elle judicieuse ?
D. R. - La Méditerranée ne doit pas devenir un cimetière. Il faut sauver des vies et empêcher le trafic des migrants. La Belgique a résolument soutenu cette initiative parce que l'Union européenne doit montrer sa capacité à monter de telles opérations, en Méditerranée comme ailleurs. Nous voulons pouvoir agir dans les eaux internationales, mais aussi dans les ports libyens pour arraisonner, saisir et détruire les bateaux des passeurs - le plus souvent des rafiots qui ne devraient même pas avoir le droit de naviguer. Il faut les faire disparaître, puis remonter les filières dans les pays d'origine et les pays de transit. Cela suppose une politique d'aide au développement efficace si nous voulons nous protéger sur le long terme de mouvements migratoires incontrôlés. Quand les gens n'ont pas de travail chez eux, ils en cherchent chez nous.
B. B. - Quid des problèmes du droit d'asile ?
D. R. - Nous devons procéder à un véritable travail d'accueil. L'Europe a une longue tradition de générosité à laquelle elle doit rester fidèle. La Belgique a accueilli plus de 5 000 Syriens au cours des dernières années. On ne peut pas se dire horrifié par les images de massacres de minorités en Syrie ou en Irak et, dans le même temps, restreindre le droit d'asile et fermer les portes.
B. B. - La politique des quotas proposée par la Commission européenne est-elle pertinente ?
D. R. - Je n'aime pas le mot « quotas ». Mais il est clair que tous les pays européens doivent jouer le jeu et favoriser une meilleure répartition - pas seulement financière - des efforts consentis en termes d'accueil.
B. B. - Les flux migratoires obéissent aussi à des motifs économiques...
D. R. - Nous avons fait appel, il y a plus de cinquante ans, à des Marocains ou à des Turcs pour venir travailler chez nous, ici en Belgique. Peut-être serons-nous conduits à faire de même dans les années à venir. Il existe deux sortes d'immigration économique : celle qui vient de l'intérieur de l'Europe où la mobilité, de mon point de vue, est loin d'être suffisante à cause des barrières culturelles et linguistiques ; et celle qui vient de l'extérieur …