La vraie nature de Monsieur Erdogan

n° 148 - Été 2015


Depuis l'arrivée au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP) d'inspiration islamiste, la Turquie a connu une mutation économique, politique, socio-religieuse et stratégique impressionnante. Le changement porte surtout sur l'identité nationale et la nature du régime politique : construction massive de mosquées ; renvoi des militaires dans leurs casernes ; autorisation du port du voile dans les écoles ; projets de révision de la Constitution instaurant un présidentialisme fait sur mesure pour Erdogan.
Mais la politique étrangère n'est pas en reste : tout en maintenant sa candidature à l'Union européenne, Ankara a mené une diplomatie à la fois « néo-ottomane », tournée vers le monde arabo-musulman, et multilatérale en direction des pays asiatiques. Cette Turquie post-kémaliste se pose en championne des Frères musulmans et des Palestiniens. Rompant brutalement avec son vieil allié Bachar el-Assad, elle a pris fait et cause pour les rebelles sunnites en guerre contre le régime syrien, jusqu'à adopter une attitude ambiguë envers les groupes islamistes djihadistes, y compris l'État islamique... Arguant de sa situation de corridor énergétique, Ankara a également resserré ses liens avec la Chine, la Russie et l'Iran.


Surenchère anti-israélienne pour séduire la rue arabe et islamiste


Tribun « islamo-populiste » hors pair, Recep Tayyip Erdogan a su jouer, depuis 2002, la carte de la réislamisation en vue de fidéliser son électorat sunnite et de permettre à la Turquie de reprendre pied dans ses anciennes possessions ottomanes (Égypte, Gaza-Palestine, Liban-Syrie, Maghreb, Balkans...). Cette stratégie s'est déployée de façon progressive afin de ne pas braquer ses alliés occidentaux qui l'ont aidé à arriver au pouvoir et à vaincre l'« État profond » kémaliste (1). Mais, à partir de la fin des années 2000, elle s'est intensifiée à coups de surenchères verbales anti-israéliennes destinées à séduire les millions de musulmans attachés à la cause palestinienne.
Plusieurs événements ont marqué la fin de l'amitié turco-israélienne (2). Le point de quasi-rupture a été atteint avec l'affaire de la flottille de Gaza, en mai 2010, lorsque des commandos israéliens ont tué neuf militants turcs pro-palestiniens à bord d'un ferry turc chargé d'aide humanitaire qui tentait de briser le blocus de Gaza. Un prétexte tout trouvé pour dénoncer l'ex-allié israélien. Ankara a par la suite pleinement approuvé l'obtention, par la Palestine, d'un statut d'observateur à l'ONU, puis appelé à la création d'un « État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale », ce que refuse l'État hébreu, avec lequel la Turquie reste pourtant liée par un traité (3). Emboîtant le pas à son président, le premier ministre Davutoglu a déclaré, lors d'une réunion de l'Organisation de la coopération islamique (à Djibouti, novembre 2012), que les « attaques dans la bande de Gaza - prison à ciel ouvert - sont un crime contre l'humanité » (4).
Déjà très liée aux Frères musulmans, qui organisent chaque année à Istanbul leur réunion internationale, la Turquie de l'AKP est devenue la nouvelle terre d'accueil du Hamas, branche palestinienne des Frères. Des membres de son aile armée s'entraînent sur son sol avec …