Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'Europe vue de Prague

Né en 1944 à Kolin, en Bohême centrale, Milos Zeman est le troisième président de la République tchèque, après Vaclav Havel (1993-2003) et Vaclav Klaus (2003-2013). Économiste de formation, il adhère au Parti communiste en 1968, pendant le « Printemps de Prague », et en est exclu en 1970 au lendemain de la chute du gouvernement communiste réformateur d'Alexandre Dubcek et la « normalisation » de la Tchécoslovaquie imposée par l'URSS. En 1989, lors de l'effondrement du régime, il adhère au Parti social-démocrate (CSSD) qu'il préside de 1993 à 2002. Après la partition des Républiques tchèque et slovaque en 1992, il exerce les fonctions de président de la Chambre des députés puis de premier ministre entre 1998 et 2002. Retiré pour un temps de la scène politique après son échec à la présidentielle de 2003, il a été le premier président tchèque à être élu au suffrage universel direct début 2013, face à l'ancien chef de la diplomatie Karel Schwarzenberg.
Longtemps favorable à l'arrimage de son pays à l'Otan et à l'UE (la République tchèque a adhéré à ces organisations respectivement en 1999 et en 2004), Milos Zeman est aujourd'hui souvent critiqué, à Prague comme à l'étranger, pour ses prises de position qualifiées de « pro-Kremlin », notamment au sujet de la crise ukrainienne. Ce qui est sûr, c'est que, malgré le caractère largement protocolaire de sa fonction, le président tchèque, réputé pour son franc-parler et son langage parfois fleuri, occupe largement le terrain diplomatique et médiatique, au détriment du premier ministre Bohuslav Sobotka, actuel chef du CSSD.
A. R.


Alexis Rosenzweig - Monsieur le Président, avant la chute du communisme vous étiez un analyste spécialisé dans la prospective économique. Les prévisions que vous faisiez pour votre pays il y a un quart de siècle, au lendemain de la révolution de velours, se sont-elles vérifiées ?
Milos Zeman - À vrai dire, j'espérais que notre économie se développerait plus rapidement ! Hélas, dans les années 1990, il y a eu en République tchèque un véritable bradage des biens publics à travers la « privatisation par coupons » (1). J'ai beaucoup critiqué ce processus qui a permis l'enrichissement d'un petit nombre d'oligarques au détriment de la collectivité. Certains hommes d'affaires véreux comme Viktor Kozeny (2) se sont emparés d'une bonne partie du patrimoine de l'État. Résultat : l'économie tchèque n'a pas pu croître autant qu'elle l'aurait dû et n'a pas réussi à rattraper celle des pays d'Europe occidentale aussi vite qu'elle aurait pu. Mais, désormais, le rythme est bon. La croissance est de près de 4 %, selon les dernières estimations. J'espère seulement que la droite ne reviendra pas au pouvoir de sitôt (3)... En effet, elle est déterminée à conduire une politique d'austérité et s'empresserait de mettre en application le slogan communiste : « Camarades, nous devons économiser coûte que coûte ! » Ce qui serait totalement contre-productif, selon moi. À mon sens, l'urgence est à présent d'adopter l'euro au plus vite. De cette façon, notre économie deviendra plus crédible sur la scène internationale (4).
A. R. - Un récent article du magazine américain Foreign Policy indiquait que la République tchèque avait un « problème d'oligarchie ». Qu'en pensez-vous ?
M. Z. - Attention à ne pas qualifier chaque homme d'affaires ayant fait fortune d'oligarque ! D'ailleurs, les politiciens américains, français ou allemands sont-ils tous sans le sou ?
A. R. - Cet article était consacré en grande partie à Andrej Babis, businessman milliardaire, depuis peu propriétaire d'un empire médiatique, et qui se trouve être l'actuel ministre des Finances...
M. Z. - Silvio Berlusconi aussi possédait un grand nombre de médias, et il a gouverné pendant une vingtaine d'années... En ce qui concerne Andrej Babis, il a renoncé à la direction de son groupe Agrofert (5), ce qui a mis fin à son conflit d'intérêts. Le fait qu'il ait acquis en 2013 deux des principaux quotidiens du pays me fait plus pitié qu'envie : ils perdent de l'argent et leurs journalistes, tels que je les connais, ne sont que des sources de problèmes !
A. R. - Le 9 mai 2015, vous étiez à Moscou pour les célébrations du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quel bilan faites-vous de ce déplacement qui vous a valu certaines critiques, à Prague comme à l'étranger ?
M. Z. - En tant que président d'un pays qui a été en grande partie libéré par l'Armée soviétique, j'ai considéré qu'il était de bon ton de rendre hommage non seulement à ceux qui sont tombés sur le territoire tchécoslovaque mais aussi, plus …