Les Grands de ce monde s'expriment dans

Vers une "Grande Albanie'' ?


Le 10 novembre 2014, Edi Rama effectuait à Belgrade une visite « historique », la première d'un chef de gouvernement albanais en Serbie depuis près de 70 ans. Après quelques discussions avec son homologue Aleksandar Vucic, il déclara lors d'une conférence de presse commune que l'indépendance du Kosovo était un phénomène « irréversible ». On frôla l'incident diplomatique, cette sortie ne manquant pas de provoquer l'ire du premier ministre serbe qui rappela que « le Kosovo-et-Métochie (1) n'avait et n'aurait jamais rien à voir avec l'Albanie ». La traduction simultanée en serbe de la déclaration du leader albanais fut d'ailleurs interrompue sur la plupart des télévisions de Belgrade.
Le lendemain, Edi Rama alla se faire acclamer dans la vallée de Presevo, une région majoritairement albanaise du sud de la Serbie, délaissée par les autorités de Belgrade depuis la fin du conflit qui vit s'affronter, en 2001, une guérilla albanaise locale et les forces de sécurité serbes. Depuis la désintégration de la Yougoslavie et les guerres des années 1990, cette étroite bande de terre que les Albanais appellent le « Kosovo oriental » (Kosova Lindore), où vivent quelque 100 000 Albanais, s'enfonce dans une misère sociale qui alimente les revendications identitaires. La démilitarisation de la région, la décentralisation et le développement économique prévus par l'accord de paix de Konculj signé en mai 2001 sont restés lettre morte et les tensions couvent, même si une paix fragile se maintient depuis une quinzaine d'années. La vallée de Presevo constitue toujours un point de tension entre les deux « grands » nationalismes de la région, le serbe et l'albanais.
Le déplacement du premier ministre albanais en Serbie était initialement prévu quelques semaines plus tôt, le 16 octobre 2014, mais un incident diplomatique retarda cette visite. Le 14 octobre, le match de football Serbie-Albanie, à Belgrade, tournait au pugilat sur la pelouse, malgré un important dispositif de sécurité, après l'apparition au-dessus du stade d'un drone transportant un drapeau de la « Grande Albanie ». Interpellé dans la tribune officielle, Olsi Rama, le frère du premier ministre, fut un temps accusé par les autorités serbes d'avoir organisé cette « performance ». Il fut finalement relâché dans la nuit tandis que les auteurs de ce coup d'éclat n'ont jamais été arrêtés. Le spectre volant de la « Grande Albanie » a renforcé, chez de nombreux Serbes, la conviction que les Albanais poursuivaient un plan visant à unifier toutes les « terres albanaises » des Balkans, l'indépendance proclamée par le Kosovo en 2008 n'étant qu'une première étape de cette stratégie. Les chancelleries occidentales ont été prises au dépourvu par cet incident qui a sonné comme un cinglant démenti des efforts déployés en vue d'une « normalisation » des relations régionales - une normalisation que devait justement confirmer la visite d'Edi Rama à Belgrade. Après avoir été balayés par les bourrasques de la « Grande Serbie » et de la « Grande Croatie » dans les années 1990, les Balkans doivent-ils désormais craindre l'émergence d'une revendication pan-albanaise ?
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