Les Grands de ce monde s'expriment dans

Espagne : le nouveau visage de la social-démocratie

Pedro Sanchez a de nombreux atouts en main pour tenter de conduire son parti, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), vers la victoire aux prochaines élections générales qui doivent avoir lieu au plus tard le 20 décembre de cette année. Son principal adversaire, Mariano Rajoy, a sorti l'Espagne de la crise, mais l'austérité l'a rendu impopulaire et le Parti populaire (PP) a été éclaboussé par de trop nombreuses affaires de corruption. L'Espagne aspire donc au changement.
Pedro Sanchez, inconnu de la plupart des Espagnols avant son élection surprise à la tête du PSOE, en 2014, pourrait bien être la bonne personne au bon moment. Tel jadis son modèle, Felipe Gonzalez, il personnifie le renouveau de la social-démocratie. Grand et juvénile, Sanchez, ancien joueur de basket âgé de 43 ans, est un homme nouveau, un intellectuel - il est docteur en économie - et un politicien télégénique. Il incarne une génération politique idéaliste, moderne, ouverte, pro-européenne et morale.
Mais ces atouts ne vont pas sans une faiblesse objective : s'il remportait les élections générales de la fin d'année, Pedro Sanchez ne pourrait - à en croire les sondages - gouverner seul. Le PSOE, dans cette hypothèse, devrait s'associer à un autre parti afin d'être en mesure de s'appuyer sur une majorité parlementaire. On pense naturellement à Podemos (1), les deux formations appartenant à la gauche. Mais comment les socialistes pourraient-ils s'entendre avec un parti qui se présente ouvertement comme anti-système ? De l'autre côté de l'échiquier politique, les libéraux de Ciudadanos ne semblent guère plus compatibles avec un PSOE dont Sanchez nous dit qu'il reste fondamentalement social-démocrate et keynésien.
Cependant, les élections régionales de Catalogne sont passées par là, et elles changent sensiblement la donne. Le résultat du scrutin du 27 septembre, que le président de la Généralité (le gouvernement local), Artur Mas, a voulu transformer en plébiscite en faveur de l'indépendance, est ambigu. En effet, la coalition indépendantiste emporte la majorité des sièges, mais n'obtient pas la majorité des voix. Ciudadanos devient le deuxième parti en Catalogne, dépassant le Parti populaire que cet échec régional fragilise encore un peu plus sur le plan national. Et tandis que le chef du gouvernement espagnol affirme, non sans raison, qu'une élection régionale n'est pas un plébiscite et fait comme si rien ne s'était passé le 27 septembre, Pedro Sanchez, lui, monte au créneau. Il s'exprime avec vigueur, affirmant que la Catalogne « est cassée en deux », que « la majorité des Catalans vient de dire qu'elle ne veut pas de l'indépendance » et qu'Artur Mas doit « reconnaître son échec ».
Dès lors, ce sont bien Ciudadanos et le PSOE, et non plus le PP, qui apparaissent aux yeux des Espagnols comme le meilleur rempart contre les fractures régionalistes. Ces deux formations ne se rejoignent-elles pas sur l'Europe, le fédéralisme et la laïcité ? Ainsi se dessine l'hypothèse d'une coalition atypique et d'une nouvelle Espagne, conduite par une alliance sociale-libérale et pro-européenne. Une promesse d'avenir, de réformes et de modernité. Pedro Sanchez, que personne n'attendait, pourrait bien être son chef...

M.F.

Michel Faure - Vous êtes jeune, 43 ans, et pas encore très connu hors des frontières de l'Espagne. D'où cette première question : qui êtes-vous et comment êtes-vous arrivé au poste de secrétaire général du PSOE ?
Pedro Sanchez - Ma carrière politique est assez inhabituelle. À l'origine, je suis un universitaire, professeur d'économie et d'histoire de la pensée économique. Parallèlement, j'ai travaillé à la mairie de Madrid, puis dans une entreprise privée. En 2013, j'ai décidé de me consacrer exclusivement à la politique en devenant député. Je suis ensuite parti en campagne pour le poste de secrétaire général du PSOE, et j'ai été élu par les militants le 28 juin 2014.
M. F. - À quand remonte votre intérêt pour la politique ?
P. S. - J'ai dû commencer à y réfléchir et m'engager à gauche dès l'âge de 12 ou 13 ans. Cet engagement précoce est assez classique en Espagne. Mes parents étaient de gauche ; mes grands-parents, Républicains, ont connu les injustices du franquisme et m'ont transmis leur expérience.
M. F. - Quels ont été les hommes ou les femmes politiques qui vous ont le plus marqué au cours de votre jeunesse ?
P. S. - D'abord un personnage historique, Manuel Azaña, qui fut le premier président du conseil, puis le dernier président de la deuxième république. C'était un homme plus libéral encore que ne le sont aujourd'hui les libéraux, avec un souci des gens, un désir de réformes et un amour de la démocratie que l'on rencontre rarement dans la classe politique. Quant aux modèles contemporains, j'en citerai deux : le premier est Felipe Gonzalez. C'est grâce à lui que j'ai décidé d'adhérer au PSOE, après sa victoire électorale en 1993. Je pensais que l'Espagne avait besoin d'un changement politique et social semblable à celui que Gonzalez avait réalisé dans les années 1980. Le second est l'Allemand Willy Brandt. C'est lui qui a prononcé cette phrase que j'aime beaucoup : « Le socialisme est toujours capable de prendre de nouveaux chemins. »
M. F. - C'est ce que vous voulez faire avec le socialisme espagnol : prendre de nouveaux chemins ?
P. S. - Oui, la clé pour comprendre le socialisme en Espagne, c'est la réforme. Cette volonté réformiste a marqué l'histoire du PSOE, et je veux renouer avec elle. Nous sommes face au conservatisme de la droite mais, à gauche, il existe aussi des conservateurs. Je suis persuadé que le socialisme démocratique du PSOE représente une gauche qui transforme, une gauche qui anticipe l'avenir. Il ne faut pas succomber à une sombre mélancolie et se complaire dans le passé. Je parlais de Felipe Gonzalez : s'il a gagné tant d'élections, c'est parce qu'il incarnait une certaine vision du futur.
M. F. - Felipe Gonzalez avait un charisme extraordinaire, certes, mais la fin de son dernier mandat fut plutôt difficile. On se souvient de la clique qu'on appelait avec ironie « los beautifuls », tous ces gens riches, influents, souvent corrompus, qui entouraient le pouvoir et …