Il a passé des dizaines d'années à restructurer des dettes, négocier des programmes de réformes et éteindre les incendies qui menaçaient à tous les étages de l'économie mondiale. Michel Camdessus revient longuement sur cette prestigieuse carrière dans un ouvrage publié l'an dernier, La Scène de ce drame est le monde, où l'on croise tour à tour Bill Clinton, Jean-Paul II, Boris Eltsine ou Nelson Mandela (1).
À l'heure où les dettes souveraines s'invitent avec fracas dans l'actualité économique, nous avons souhaité recueillir son opinion sur l'état du système économique mondial. Des soubresauts engendrés par le ralentissement de la croissance chinoise aux perspectives de l'Afrique en passant par la crise grecque, l'ancien directeur général du FMI dévoile son analyse et trace des pistes de réforme.
A. G.
Adrien Guilleminot - Malgré la belle santé de l'économie américaine, il semble que lorsque la Chine tousse tous les marchés s'enrhument. L'économie mondiale a-t-elle définitivement changé d'axe ?
Michel Camdessus - Oui, en ce sens que nous sommes entrés dans une ère radicalement nouvelle, celle du multilatéralisme. Nous étions habitués à des États-Unis souverains : ils étaient l'hégémon, comme on dit dans les traités de politique internationale. Hégémon au plan militaire, économique et monétaire. Eh bien, nous sommes sortis de cette situation. Nous sommes à présent dans l'ère de la pluralité, où il y a plusieurs hégémons. La Chine en est un. Mais n'oublions pas que l'Europe en est un aussi ! C'est le premier partenaire commercial de la planète ; et si, comme vous dites, le monde est aujourd'hui enrhumé, c'est aussi parce que l'Europe ne cesse d'éternuer depuis fort longtemps...
A. G. - Vous ne souscrivez donc pas totalement à la thèse d'une économie qui serait désormais dominée par Pékin ?
M. C. - La Chine est évidemment devenue un partenaire indiscutable d'une économie multipolaire. Pas « le » partenaire, mais l'un des partenaires, avec les États-Unis, avec l'Europe. Je ne parlerai donc pas, à son égard, de prépondérance ; mais sa situation mérite évidemment la plus grande attention. Tout ce qui s'y passe, et tout ce qui concerne 1,3 milliard d'habitants, est d'importance systémique. L'hyper-nervosité et l'hyper-réactivité actuelles des marchés s'expliquent, quant à elles, par la nature même de ces marchés. Attachés à éviter toute perte à court terme, ils passent naturellement par des phénomènes d'engouement et de déprime.
Aujourd'hui, il s'agit de déprime parce que les yeux s'ouvrent sur ce qu'est la Chine. Et le pouvoir chinois fait lui-même une très bonne analyse de ses faiblesses : la réforme encore insuffisante des entreprises et des banques du secteur public, les gigantesques problèmes environnementaux, l'endettement public et privé, l'immensité des défis sociaux... La dévaluation récente du renminbi (2), dans ce contexte, constitue bien plus un signal que la Chine s'adresse à elle-même et, évidemment, au monde qu'une opération visant à relancer ses exportations (puisque le taux de cette dévaluation a été somme toute assez minime).
A. G. - Les autorités de Pékin font une bonne analyse de leurs faiblesses, dites-vous. Pourtant, de nombreuses voix s'élèvent pour reprocher à la Chine un certain manque de transparence sur les performances de son économie...
M. C. - Les Chinois n'ont pas mérité qu'on les soupçonne systématiquement de publier des statistiques « trop glorieuses ». Les résultats acquis attestent de leur sérieux. Par surcroît, ils ont fait de grands progrès en matière de transparence. Et pour tout dire, ce sont ceux qui n'ont cessé de douter de leurs statistiques qui devraient se remettre en question : nous savons maintenant que la Chine a bel et bien eu, au cours des vingt dernières années, une croissance moyenne supérieure à 8 %. Lorsque ses dirigeants annonçaient de tels chiffres il y a vingt ans, peu de gens les croyaient. À l'époque, le FMI …
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