Jean-Pierre Robin - Depuis 1999, vous êtes en quelque sorte la mémoire vivante de l'euro. En tant que vice-président de la BCE, d'abord, puis comme gouverneur de la Banque de France, vous avez, en effet, suivi de très près les vicissitudes de la monnaie européenne. Pouvez-vous nous raconter comment s'est passée la naissance de l'euro au 1er janvier 1999 ?
Christian Noyer - Nous étions évidemment fin prêts. L'Union monétaire avait été lancée dès le 1er juillet 1988 et l'Institut monétaire européen (IME), dirigé par Alexandre Lamfalussy, avait ensuite, à partir de 1994, effectué un énorme travail de préparation auquel les banques centrales nationales (BCN) avaient été étroitement associées. D'autant que le « groupe Delors », qui est à l'origine de la création de la monnaie européenne, avait réuni l'ensemble des gouverneurs des BCN. Pendant les six mois qui ont précédé le lancement de l'euro, nous avons parachevé le travail de l'IME dont nous avons repris les équipes. Tout était donc prêt le jour de l'ouverture des marchés financiers le 4 janvier 1999, tant la stratégie monétaire de la BCE que le cadre opérationnel permettant de connecter les systèmes de paiements nationaux. Car il fallait que la circulation de la liquidité de la nouvelle monnaie se fasse sans heurts à l'intérieur de la zone euro dès le jour J.
J.-P. R. - Vous étiez vice-président aux côtés du président Wim Duisenberg. Comment les tâches ont-elles été réparties ?
C. N. - J'ai été nommé pour quatre ans, car les mandats des six membres du directoire de la BCE avaient été modulés de quatre à huit ans afin que l'équipe puisse se renouveler progressivement. Wim s'est concentré sur les questions de communication et l'animation du Conseil des gouverneurs de la BCE qui réunissait au départ onze pays. Il voulait former un collège très soudé. Il m'avait demandé de prendre en charge l'organisation de la BCE. Mon métier a donc consisté à construire une start-up, une grosse start-up de 300 personnes. Nous étions alors très loin des 1 500 personnes qui travaillent aujourd'hui à Francfort, hors supervision.
J.-P. R. - À l'époque, il y avait une polémique en France à propos de la présidence de la BCE. On trouvait étrange qu'elle fût revenue à un Néerlandais...
C. N. - J'ai toujours pensé que l'opinion publique française était sévère avec Wim Duisenberg. Sans doute était-elle un peu dépitée que son champion, Jean-Claude Trichet, n'ait pas été choisi pour être le premier président de l'histoire de la monnaie européenne. Mais Wim avait l'avantage de très bien connaître l'Allemagne et la France, dont il parlait les deux langues, et d'entretenir d'excellentes relations à la fois avec Hans Tietmeyer, le président de la Bundesbank, et avec Jean-Claude Trichet, qui était alors gouverneur de la Banque de France.
J.-P. R. - N'était-il pas dans la main des Allemands, comme on lui en a fait le reproche ?
C. N. - Non, il a beaucoup oeuvré pour construire un système de type fédéral, dans lequel les gens, non …
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