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Libye : le miracle de la reconstruction nationale

Plus de quatre ans après le début de l'insurrection en Libye et l'intervention de l'Otan qui a précipité la fin du régime, la situation reste marquée par une extrême fragmentation, la prééminence des logiques de violence et l'absence de consensus autour d'une perspective de reconstruction politique.
À la tension, traditionnelle en Libye, entre centre et périphérie est venue s'ajouter, depuis août 2014, la rivalité entre Tobrouk et Tripoli - deux entités politiques revendiquant chacune sa propre légitimité. Quant à l'apparition de groupes armés ayant fait allégeance à l'État islamique, elle a des conséquences directes sur la sécurité tant des États frontaliers de la Libye que des pays européens riverains de la Méditerranée.


Le moment révolutionnaire de février 2011 : essai d'interprétation


Les déséquilibres structurels du système Kadhafi et les frustrations de certaines catégories de la population s'accumulaient depuis des mois, voire des années. L'impulsion viendra de Tunisie et d'Égypte dont les révolutions, diffusées en continu par la chaîne qatarienne Al-Jazira, encouragent les insurgés à sauter le pas (1).
Aux premières manifestations du 15 février à Benghazi pour demander la libération de l'avocat des familles de disparus de la prison d'Abou Salim (majoritairement originaires de l'est du pays) succèdent, les jours suivants, des rassemblements d'opposants au régime, principalement en Cyrénaïque et en Tripolitaine. Les manifestations en Cyrénaïque, qui réunissent une grande majorité de jeunes entre 20 et 30 ans, tournent rapidement à l'émeute comme cela avait déjà été le cas en 2006 à Benghazi lors de la mobilisation contre les caricatures du Prophète. Les forces de sécurité ouvrent le feu. Dès le 18 février, les émeutiers, parfois grâce à des complicités internes, parviennent à s'emparer d'armes de tout calibre (2). Deux jours après son déclenchement, l'insurrection est déjà militarisée en Cyrénaïque. Ce moment révolutionnaire se caractérise donc par la spontanéité et l'absence de direction du mouvement initial. De son côté, le colonel Kadhafi, incapable de prendre la mesure de ce qui se joue dans le pays, pense régler le problème en actionnant le levier financier (doublement des salaires, versement d'allocations exceptionnelles pour les couples...) et en libérant une centaine de détenus islamistes. Il réunit des chefs tribaux et des notables pour les sommer d'appeler leurs jeunes au calme avant d'opter, le 22 février, pour la menace et la répression. Après la défection, la veille, du ministre de l'Intérieur, le général Younès (qui appartient à la grande tribu des Ubeïdat de Cyrénaïque), les divisions au sein de son premier cercle entre partisans des concessions et tenants de la fermeté s'estompent au profit des seconds.
Une fois le moment révolutionnaire engagé, celui-ci peut se poursuivre dès lors que les insurgés disposent d'une emprise territoriale, qu'ils bénéficient de la reconnaissance et du soutien direct (médiatique, politique, militaire) d'États étrangers (3) et que, en face, le régime et son appareil de répression montrent des signes de délitement (bien que les défections n'aient jamais atteint le premier cercle des fidèles du clan Kadhafi et ses gardes prétoriennes). Rapidement, ce moment révolutionnaire évolue néanmoins vers un scénario …