Allemagne : le credo de la gauche radicale

n° 150 - Hiver 2016

Vingt-six ans après la chute du mur de Berlin, le parti néo-marxiste PDS, fondé fin 1989 par le célèbre Gregor Gysi sur les ruines du Parti communiste (SED) d'Erich Honecker, se porte plutôt bien. Rebaptisé « Die Linke » (« La Gauche »), ce parti qui a subi plusieurs mutations et a été rejoint par des éléments de la gauche ouest allemande, totalise quelque 70 000 adhérents dont 68 % sont domiciliés en ex-RDA. Alors qu'il y a vingt ans le parti était encore composé à 98 % d'anciens cadres est-allemands, les ex-adhérents du PDS ne représentent plus aujourd'hui que les deux tiers des 68 % est-allemands. L'ancienne nomenklatura est-allemande disparaît peu à peu.
Die Linke, comme les Verts, compte dans ses rangs le plus fort taux de femmes (38 %) de tous les partis allemands. Elle a conservé de la RDA le quotidien communiste Neues Deutschland ainsi que les éditions Karl Dietz Verlag. Die Linke se maintient sur l'ensemble du territoire allemand à environ 10 % des intentions de vote et a 64 députés au Bundestag (35 femmes et 29 hommes). De l'appoint de ses voix dans une coalition avec les Verts et les sociaux-démocrates SPD peut dépendre, aux législatives de 2017, l'alternance gouvernementale si jamais la coalition actuelle de centre droit de Mme Merkel perdait du terrain.
Vice-présidente du parti depuis 2012, élue en octobre 2015 coprésidente de son groupe parlementaire (Die Linke, comme les Verts, place généralement un tandem homme-femme à ses postes de direction), Sahra Wagenknecht est l'icône de la gauche néo-marxiste et libertaire allemande. Rationaliste radicale, pacifiste, humaniste et européenne, ancienne animatrice de la « Plateforme communiste » au sein de son parti, elle a soutenu Hugo Chavez et admire Jean-Luc Mélenchon. Elle est proche d'Alexis Tsipras.
Née le 16 juillet 1969 à Iéna (RDA) d'une mère allemande de l'Est galeriste d'art et d'un père iranien qu'elle n'a jamais connu, Sahra Wagenknecht a été élevée par ses grands-parents jusqu'à son déménagement à Berlin-Est en 1976. Elle a été membre, comme Mme Merkel, de la Jeunesse allemande communiste (FDJ), puis a adhéré au parti communiste après son bac en 1988 ; mais elle fut interdite d'université pour avoir refusé d'accomplir sa préparation militaire. La réunification allemande lui a par la suite permis d'étudier la philosophie et la littérature allemande à Iéna, à Berlin et à Groningue. Sa thèse de doctorat porte sur l'interprétation de Hegel par le jeune Marx.
Sahra Wagenknecht émerge du vivier politique par sa culture, son indépendance d'esprit et ses talents d'oratrice. Elle a épousé le Sarrois Oskar Lafontaine - ancien ministre-président de la Sarre, ex-ministre SPD à Berlin, ancien rival de Gerhard Schröder rallié lui aussi à Die Linke.
J.-P. P.

Jean-Paul Picaper - Malgré son récent succès au congrès de la CDU, la chancelière paraissait un peu lasse ces derniers temps. Il est vrai que sa politique migratoire est très critiquée...
Sahra Wagenknecht - Il faut se garder de sous-estimer Mme Merkel, même si son propre parti la met à présent sous pression. Alors que beaucoup de gens l'avaient déjà enterrée, elle a en effet réussi à s'imposer au congrès de la CDU avec la ligne politique qui est la sienne. Et cela, en dépit des critiques visant sa décision de suspendre momentanément l'accord de Dublin (1) et d'accueillir des réfugiés passés par d'autres pays de l'Union européenne. Cette décision, je le rappelle, n'a pas été dénoncée par les seuls jusqu'au-boutistes de la CSU bavaroise ; elle l'a été aussi par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble.
J.-P. P. - Selon l'accord de Dublin, les demandeurs d'asile doivent être consignés dans le premier pays de l'Union européenne qui les reçoit. Auraient-ils dû rester en Grèce, en Italie ou dans les Balkans au lieu de transiter vers l'Allemagne ?
S. W. - Oui, mais il est évident que « Dublin » ne fonctionne pas et ne peut pas fonctionner. Nous le répétons depuis des années. Au lieu d'ériger de nouveaux murs en Europe ou autour de l'Europe et de laisser des pays comme la Grèce et l'Italie tout seuls avec leurs réfugiés, il faut que l'Europe élabore et impose une politique des réfugiés qui soit rationnelle. Il faut ouvrir davantage de routes à l'immigration afin que ceux qui fuient la famine, la guerre et le terrorisme ne tombent plus entre les mains de passeurs criminels et ne risquent plus leur vie pour rejoindre l'Europe. Mais il est encore plus important de s'attaquer aux raisons de leur départ. À cause des guerres qu'il a menées pour le pétrole et les matières premières au Moyen-Orient, de ses exportations d'armes et de ses relations commerciales déséquilibrées, l'Occident est en fin de compte coresponsable de ces exodes massifs.
J.-P. P. - La politique de Mme Merkel est également contestée dans certains États d'Europe centrale...
S. W. - J'ai honte de voir la Hongrie, le pays qui le premier a ouvert le Rideau de fer en 1989, en construire un nouveau pour refouler les réfugiés ! Le gouvernement grec, qui est de gauche, a été la cible d'un chantage brutal qui a fini par le mettre à genoux. En revanche, les gouvernements de droite d'Europe de l'Est peuvent, eux, agir en toute impunité. Je ne comprends pas pourquoi la chancelière ne réagit pas. Il y a longtemps qu'on aurait dû exclure du groupe chrétien-démocrate du Parlement européen le Fidesz, ce parti populiste du président hongrois Orban. Il y a longtemps qu'on aurait dû forcer le gouvernement ukrainien de Porochenko à respecter l'accord de Minsk et à désarmer les milices fascistes responsables du terrible massacre d'Odessa en mai 2014 (2). Je trouve scandaleux que le gouvernement allemand et l'Union européenne fassent la cour à Erdogan - alors …

Sommaire

Pour une Europe plus solidaire

Entretien avec Jean-Claude Juncker par Baudouin Bollaert

« Brexit » : le pari risqué de David Cameron

par Pauline Schnapper

Allemagne : le credo de la gauche radicale

Entretien avec Sahra Wagenknecht par Jean-Paul Picaper

Suède : une diplomatie décompléxée

Entretien avec Margot Wallström par Antoine Jacob

États-Unis : les vrais gagnants de la crise financière

Entretien avec Jacques de Larosiere par Jean-Pierre Robin

Erdogan, un allié encombrant

par Marc Semo

La voix des Kurdes

Entretien avec Selahattin Demirtas par Marie Jégo

La grande peur des Serbes de Bosnie

Entretien avec Milorad Dodik par Alexis Troude

Quand Benyamin Netanyahou pense le monde

par Frédéric Encel

Les deux guerres de l'Ukraine

Entretien avec Petro Porochenko par Isabelle Lasserre

En finir avec l'oligarchie ukrainienne

par Sébastien Gobert

Donbass : le Kremlin à la manoeuvre

par Régis Genté

Le meilleur ennemi de Vladimir Poutine

Entretien avec Sergueï Pougatchev par Isabelle Lasserre

Les risques d'une coalition avec la Russie

par Françoise Thom

Syrie : un « protectorat militaire » russe au Levant

par Igor Delanoë

Damas : l'heure de la recomposition

par Thomas Pierret

La difficile quête d'un leadership sunnite

par Christophe Ayad

État islamique : main basse sur le jihad

par Jean-Pierre Perrin

Dix idées reçues sur l'intervention en Libye

par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer

Venezuela : la fin du chavisme ?

par Marie Delcas

Australie : les atouts du nouveau premier ministre

par Xavier Pons