Le 28 mars, lors d'un entretien accordé à la chaîne de télévision ukrainienne ICTV, Petro Porochenko, élu un peu moins d'un an plus tôt, après le dénouement tragique de la « révolution de la dignité », semblait partir en croisade. « La caste des privilégiés sera éliminée ! », promettait le président ukrainien. Une caste composée, selon lui, d'oligarques « qui ne cherchent qu'à engendrer le chaos dans le pays, alors que nous nous efforçons d'y ramener l'ordre ». Et le chef de l'État de promettre une « ère de justice » et de vanter les réalisations de l'exécutif : « Je peux vous assurer que ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption ne se sentent plus en sécurité, grâce aux réformes entreprises par le gouvernement. »
De fait, Petro Porochenko multiplie les gestes forts et les déclarations de fermeté à l'encontre des plus importantes fortunes du pays. Après avoir ouvertement provoqué l'exécutif ukrainien en conduisant une série de « raids corporatifs » (1) sur des entreprises d'État, à la mi-mars 2015, le sulfureux Ihor Kolomoïski, pourtant auréolé d'un statut de « héros national » pour son soutien actif aux forces armées ukrainiennes dans le Donbass, a dû renoncer au poste de gouverneur de l'oblast (région) de Dniepropetrovsk qu'il occupait depuis mars 2014 (2). L'homme le plus riche du pays, Rinat Akhmetov (3), a été publiquement réprimandé après que des grèves de mineurs vraisemblablement organisées par sa société DTEK eurent créé des troubles à Kiev au printemps. À la Verkhovna Rada (le Parlement monocaméral), la coalition gouvernementale est officiellement engagée dans un vaste effort de « désoligarquisation ». Les députés multiplient les initiatives législatives présentées comme des mesures anti-monopolistiques, anti-corruption ou encore en faveur d'une meilleure transparence des marchés publics.
L'enjeu, pour les réformateurs ukrainiens, n'est pas seulement de prendre pour cible une caste représentée par quelques individus. Leur but est de démanteler un système oligarchique solidement implanté dans le pays depuis la dislocation de l'Union soviétique. Né dans les années 1990, le système s'est affermi pendant les deux mandats présidentiels de Leonid Koutchma (1994-2004), celui-ci s'imposant comme son arbitre incontournable. La « république oligarchique » ukrainienne a survécu à la Révolution orange de 2004 (4) avant d'être remise en cause du fait de la concentration à outrance des ressources nationales entre les mains de la « Famille » du président Viktor Ianoukovitch (2010-2014) (5). Vilipendé par les révolutionnaires de l'« EuroMaïdan » à partir de novembre 2013, le système de la république oligarchique survit au changement de régime. Il est aujourd'hui dénoncé comme un obstacle à la modernisation et à l'intégration européenne de l'Ukraine. Ces condamnations émanent tant de la société civile et des milieux politiques ukrainiens que de leurs partenaires occidentaux. À en croire les déclarations officielles, les jours de l'oligarchie ukrainienne seraient comptés.
Mais au-delà des déclarations d'intention, la désoligarquisation se révèle une entreprise colossale. Et cela, d'autant plus que de nombreux doutes planent sur la bonne volonté de la nouvelle élite politique, jusqu'au sommet …
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