Les Grands de ce monde s'expriment dans

Erdogan, un allié encombrant

Pour le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan, la victoire au soir des élections législatives anticipées du 1er novembre avait une incontestable saveur de revanche. En cinq mois, sur fond de tensions croissantes et de reprise du conflit armé avec la guérilla kurde du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le leader charismatique de l'AKP a, en effet, réussi à retourner l'opinion et à obtenir pour son parti, au pouvoir depuis novembre 2002, la majorité parlementaire (49,4 % des voix) qui lui avait échappé lors du scrutin du 7 juin. Aucun sondage n'avait prévu un tel sursaut. L'événement ne fut pourtant marqué que par un simple communiqué de la présidence et par un geste discret mais lourd de symbole : une prière à la mosquée stambouliote d'Eyup si chère à Pierre Loti, là même où les sultans se rendaient jadis avant de ceindre l'épée d'Osman au moment de monter sur le trône. Erdogan avait relancé cette tradition en août 2014 pour célébrer son élection dès le premier tour à la présidence de la République.
Son mandat de chef de l'État n'était pas en jeu, mais ce triomphe est avant tout le sien. C'est lui qui s'est obstiné à empêcher la formation de toute coalition, rendant par là inévitable, comme le prévoit la Constitution (1), ce nouveau recours aux urnes. Pour parvenir à ses fins, il n'a pas hésité à attiser les tensions internes entre laïcs et islamistes, et entre sunnites et alévis - fidèles d'une secte hétérodoxe issue du chiisme (20 % de la population) - et, surtout, à rallumer la question kurde (entre 15 à 20 % de la population).
Un véritable tournant s'amorce donc dans l'histoire de la République turque. Celui que ses adversaires ont surnommé « le nouveau sultan » exerce déjà un contrôle absolu sur le parti et ses organes dirigeants au travers de ses hommes liges. Désormais, il est en passe de réaliser son rêve d'« hyper-présidence ». Certes, avec 317 sièges sur 550, l'AKP ne dispose pas de la majorité requise pour changer la Constitution - il lui en faudrait 367 - et instaurer le régime présidentiel inspiré du modèle français qu'il appelle de ses voeux. Mais la voie du référendum reste ouverte. Pour cela, il doit réunir 330 voix - un quorum facile à atteindre s'il réussit à débaucher, voire à acheter quelques députés des autres partis, notamment du côté de la droite nationaliste. Après avoir joué la carte de la division (« nous » : les croyants, les conservateurs, les patriotes, contre « eux » : les laïcs, la gauche, les Kurdes), le président doit à présent rassembler pour gouverner le pays et rassurer les milieux d'affaires ainsi que ses partenaires européens et américains.
L'expérience des dernières années montre néanmoins que, placé en position de force, l'AKP tend à abuser de son pouvoir. C'est après le scrutin de 2011, où il avait engrangé 49,1 % des voix, que se sont accentuées les dérives autoritaires. Convaincu de son propre génie politique - son …