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États-Unis : les vrais gagnants de la crise financière

Huit ans après l'éclatement de la plus grave crise financière depuis les années 1930, la page est tournée. Les difficultés que rencontrent aujourd'hui les pays émergents ou l'Europe n'ont strictement rien à voir avec l'effondrement de l'économie internationale de l'hiver 2008-2009 qui avait touché l'ensemble des nations. Chacun le reconnaît.
Mais, paradoxalement, ce sont les États-Unis, d'où était partie l'onde de choc, qui s'en sont le mieux remis, et de très loin. L'Amérique a renoué avec le plein emploi et retrouvé une croissance solide. Plus étonnant encore, le système financier et bancaire américain en a profité pour renforcer sa suprématie, principalement aux dépens de l'Europe.
Jacques de Larosière - qui fut notamment directeur général du FMI et gouverneur de la Banque de France - est le mieux placé pour expliquer ce phénomène surprenant à maints égards.
On se souvient de la réaction ultra-rapide des principales économies mondiales qui, dès novembre 2008, quelques semaines après la faillite de Lehman Brothers, se sont regroupées au sein du G20 afin de conjuguer leurs efforts pour circonscrire la crise. Les pays anglo-saxons - États-Unis et Royaume-Uni en tête -, qui avaient dû voler massivement au secours de leurs banques, voulaient à tout prix éviter qu'un tel scénario se reproduise. « Plus jamais ça » : à l'avenir, les banques « too big to fail », trop importantes pour faire faillite, devraient avoir les reins suffisamment solides pour ne plus devoir faire appel aux États et à leurs contribuables.
Après des années de discussions, une série d'accords voit le jour en 2010. Ces accords dits de « Bâle III », là où siège le Conseil de stabilité financière créé dans le cadre du G20, visent à améliorer les réglementations internationales s'appliquant aux acteurs financiers. L'idée consiste à renforcer considérablement les fonds propres des banques et, donc, leur capacité de résistance aux crises. Le travail n'est d'ailleurs pas totalement achevé puisque les nouvelles réglementations ne seront mises en place qu'en 2019. Ces règles ont été conçues essentiellement pour répondre aux besoins spécifiques des banques américaines et britanniques qui avaient été à l'origine de la crise de 2008, mais elles concernent l'ensemble de la communauté bancaire internationale.
Divisée, en proie à des problèmes d'organisation interne, l'Europe n'a pas réussi à faire prévaloir son point de vue. Européen convaincu, Jacques de Larosière est le premier à déplorer l'incapacité des Européens à défendre leurs propres intérêts sur la scène financière et diplomatique internationale. Ils le paient aujourd'hui très cher...
J.-P. R.


Jean-Pierre Robin - Depuis la crise financière de 2008-2009, les bilans des banques ont été considérablement renforcés afin d'éviter qu'elles soient obligées de recourir à l'aide publique en cas de difficulté. Ces réformes, qui ont été discutées à Bâle, sont en train d'être mises en oeuvre. Quelle est leur portée ?
Jacques de Larosière - Ces réformes, dites de « Bâle III », concernent l'ensemble des établissements bancaires et pas seulement les plus grands, ceux qu'on qualifie de « systémiques » (1). L'effort demandé est colossal. Les fonds propres exigés des banques seront, en effet, multipliés par deux par rapport à la période d'avant-crise. Il s'agit d'un capital rapporté aux prêts, pondérés en fonction de leurs risques. Ces prêts peuvent être des crédits - aux ménages, aux entreprises ou à des entités publiques - ou des opérations de marché. Pour vous donner une idée, je vous signale qu'il avait fallu cent ans pour que ce ratio de fonds propres double une première fois...
J.-P. R. - Le régime est encore plus sévère pour les banques systémiques...
J. de L. - Tout à fait. Ces établissements devront respecter des ratios de fonds propres bien supérieurs à ceux qu'on impose au reste de la profession, et cela à partir de 2019. À un ratio de base pour les fonds propres - 8 % des risques pondérés - qui constitue la règle commune pour la totalité des banques, il faudra ajouter ce qu'on appelle les « conservation buffer » (tampons de conservation), qui s'élèvent à 2,5 % du montant des risques. Soit un minimum de capital égal à 10,5 % des engagements du bilan. Mais ce n'est pas tout : les établissements systémiques, qui sont une trentaine, se verront appliquer 1 % à 2,5 % supplémentaires, voire davantage. Cet éventail est fonction de la nature des risques qui ne sont pas les mêmes pour l'ensemble de ces grands établissements.
Outre cette réglementation sur les fonds propres, une « nouvelle vague » réglementaire a été édictée afin d'éviter que les banques ne soient renflouées par de l'argent public en cas de faillite. Ce sont les obligations en matière de « résolution ». Au total, les contraintes en capital pour les établissements systémiques avoisineront 18 % du risque.
J.-P. R. - Ces exigences de fonds propres seront-elles suffisantes pour écarter tout risque de faillite ?
J. de L. - Une garantie absolue voudrait dire que les fonds propres représentent 100 % des risques, ce qui n'a évidemment pas de sens. Mais les exercices de simulation réalisés à Bâle, dans le cadre du Financial Stability Board (FSB-Conseil de stabilité financière), ont montré que des ratios de 8 % à 13 % auraient permis de faire face à pratiquement toutes les faillites survenues en 2008.
J.-P. R. - Les banques vont donc devoir revoir fortement à la hausse leurs fonds propres et lever des capitaux très importants...
J. de L. - Effectivement. Autrefois, les banques, pour répondre aux obligations de Bâle, pouvaient dans une certaine mesure considérer …