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Suède : une diplomatie décompléxée

Depuis l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement en Suède, la sociale-démocrate Margot Wallström est l'une des ministres des Affaires étrangères les plus sollicitées de toute l'Union européenne. Reconnaissance de l'État palestinien par le royaume scandinave, critiques directes contre les atteintes aux droits de l'homme en Arabie saoudite, affirmation d'une politique étrangère féministe : la chef de la diplomatie suédoise s'est illustrée sur plusieurs fronts, non sans fâcher certains gouvernements. La presse anglo-saxonne, en particulier, a multiplié les entretiens avec cette femme de 61 ans aux convictions bien trempées qui se distingue par son franc-parler.
Si elle l'avait voulu, Margot Wallström aurait pu briguer la présidence du Parti social-démocrate et prétendre ainsi au poste de chef du gouvernement suédois. L'occasion se présenta dans les années 2000, puis au début de la décennie actuelle. Malgré une cote de popularité au plus haut, cette ancienne ministre de la Culture (1994-1996) et des Affaires sociales (1996-1998) préféra poursuivre sa carrière à l'étranger. Entre 1999 et 2004, elle fut commissaire européenne à l'Environnement au sein de l'équipe de Romano Prodi avant d'être promue vice-présidente de la Commission Barroso - poste qu'elle occupa jusqu'en février 2010. Elle partit ensuite pour New York, où le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon la nomma Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit.
Margot Wallström finit par rentrer à Stockholm pour participer à la reconquête du pouvoir aux côtés du nouveau leader social-démocrate Stefan Löfven, un ancien soudeur monté dans le parti par le biais du syndicalisme. En septembre 2014, la coalition de quatre formations de centre droit, aux affaires depuis 2006 sous la houlette du conservateur Fredrik Reinfeldt, fut renvoyée dans l'opposition. Stefan Löfven, propulsé à la tête d'un gouvernement de coalition (avec les Verts) minoritaire au Parlement (1), proposa à Margot Wallström le portefeuille des Affaires étrangères. Quelques jours après ses 60 ans, celle-ci faisait ses débuts dans ses nouvelles fonctions. C'est dans son bureau faisant face à l'Opéra de Stockholm qu'elle a reçu Politique Internationale.
A. J.


Antoine Jacob - Depuis l'été 2015, la Suède est confrontée à l'arrivée de plus de 100 000 demandeurs d'asile en provenance de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan et d'ailleurs. Après s'être mobilisé en leur faveur, le gouvernement s'est résolu, en novembre, à prendre les mesures les plus restrictives jamais adoptées dans l'histoire moderne du pays afin de réduire le nombre d'arrivants et de limiter les possibilités de regroupement familial. Pourquoi un tel tournant ?
Margot Wallström - Permettez-moi d'abord de rappeler que la Suède a une tradition d'ouverture sur le monde. C'est un pays qui a toujours offert sa protection à ceux qui fuient les persécutions et les guerres. C'est précisément pour cette raison que les refugiés sont si nombreux à se diriger vers la Suède. Sans parler de ceux qui veulent rejoindre des parents ou des amis déjà installés sur notre territoire (2). Cela dit, il est exact que nous avons décidé les changements dont vous parlez, pour une période temporaire de trois ans. Les capacités d'accueil de la Suède sont actuellement soumises à une pression qui n'est pas soutenable, les communes sont souvent débordées. Le coût financier est lourd et des tensions surgissent. La Suède n'a pas cessé, pour autant, de se conformer à toutes ses obligations internationales, et elle continuera à le faire. Cependant, nous regrettons profondément que les responsabilités en matière d'accueil ne soient pas mieux partagées, au sein de l'Union européenne et au-delà. Il n'est pas acceptable que seuls quelques pays voisins de la Syrie et une poignée d'États membres de l'Union européenne - Suède et Allemagne en tête - assument une part disproportionnée de ce fardeau.
A. J. - Qu'attendez-vous de vos partenaires européens ?
M. W. - Les seules solutions à ce défi ne peuvent être que des solutions communes, à l'échelle de toute l'UE. Il faut absolument que les mécanismes de réinstallation, sur lesquels se sont entendus les Vingt-Huit, et qui concernaient initialement l'Italie et la Grèce, soient mis en oeuvre. D'ailleurs, la Suède a demandé à pouvoir bénéficier de ce mécanisme, compte tenu de l'afflux de migrants auquel elle doit faire face. Nous voudrions aussi que la responsabilité soit mieux partagée pour les mineurs, ces jeunes de moins de 18 ans qui arrivent seuls, sans aucune famille, et que la Suède accueille en grand nombre. L'Union européenne est fondée sur le principe de solidarité entre ses membres. Mais, comme vous le savez, de nombreux pays sont opposés à cette solidarité. Certains États ont même choisi de bâtir des murs ou d'ériger des barrières à leurs frontières...
A. J. - À ce propos, que répondez-vous à ceux qui, y compris en Suède, préconisent la fermeture des frontières extérieures de l'UE et l'arrêt de l'accueil des réfugiés ?
M. W. - Je peux simplement rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, environ 1,2 million de Suédois ont quitté leur pays pour trouver un avenir meilleur en Amérique. De nombreuses familles suédoises comptent parmi leurs …