La première fois que le romancier chinois Murong Xuecun a eu des problèmes avec la censure, c'était à l'école primaire, à l'âge de 9 ans. Plein d'imagination, le petit garçon avait écrit une rédaction dans laquelle le soleil était violet et les fleurs soupiraient de chagrin. « Sottise ! », avait hurlé le maître en le réprimandant. Aujourd'hui âgé de 41 ans, Murong Xuecun (de son vrai nom Hao Qun) est devenu l'un des écrivains chinois les plus incisifs de sa génération.
Diplômé de l'Université des sciences politiques et du droit de Pékin (Zhengfa daxue) en 1996, Murong travaille brièvement comme avocat, avant de se rendre célèbre, en 2002, avec son premier roman Oublier Chengdu. Le manuscrit est publié non par une maison d'édition classique (donc très contrôlée), mais sur une plate-forme Internet. La renommée de Murong ne fait que grandir. Par nature franc du collier, il franchit un cap en 2011 en décidant de ne plus avoir recours à l'autocensure, comme le font tant d'écrivains chinois. À ses risques et périls car, deux ans plus tard, la police ferme d'autorité tous ses comptes Internet. Ses blogs hébergés par Sina Weibo - l'équivalent chinois de Facebook et Twitter - comptaient alors pas moins de 8 millions d'abonnés.
Son oeuvre est iconoclaste. Dans Danse dans la poussière rouge, traduit en français en 2013, il dépeint sans mansuétude l'univers de la corruption. Il manque un remède à la Chine, son dernier ouvrage, nous plonge dans une organisation frauduleuse de vente pyramidale qui sent l'arnaque et la manipulation psychologique. Son prochain livre sera inspiré de 1984 de George Orwell.
P. G.
Philippe Grangereau - Votre roman Danse dans la poussière rouge a été publié en Chine en 2011. Depuis lors, une vaste campagne anti-corruption a mis au jour une situation pire encore que celle que vous décrivez. Avez-vous été surpris par ces informations ?
Murong Xuecun - Je n'ai pas mis dans mon livre tout ce que je savais sur la corruption, car il y avait des choses tellement extravagantes que j'avais peur que mes lecteurs ne me croient pas. Par exemple, j'avais appris qu'un haut fonctionnaire de Canton se faisait livrer une ou deux filles vierges tous les vendredis soir. Cette histoire, pourtant vraie, ressemblait tant à une affabulation que j'ai renoncé à l'inclure dans mon texte. Rétrospectivement, j'ai eu tort car les dernières révélations sont plus grotesques encore. Figurez-vous qu'on a découvert, chez un ancien membre du Politburo, plusieurs tonnes de billets de banque...
P. G. - Jusqu'à la fin des années 1970, la Chine était clairement une dictature totalitaire communiste. Comment définiriez-vous la nature du pouvoir aujourd'hui ?
M. X. - On peut qualifier ce régime de « nouveau totalitarisme de marché ». Ce n'est plus comme autrefois ; l'administration doit désormais être efficace. Sur le plan économique, il ne s'agit plus de contrôler l'ensemble des ressources, mais de livrer une partie de l'industrie aux forces du marché, tout en gardant la mainmise sur des industries essentielles telles que l'armement, les communications, les transports ou l'électricité. La grande différence par rapport au passé, c'est qu'aujourd'hui le totalitarisme se sert des lois du marché pour renforcer son emprise.
Sur le plan idéologique, il a fallu prendre en compte le fait que le marxisme-léninisme-stalinisme, naguère martelé en boucle sur tous les médias, était désormais discrédité, et même ridiculisé. Un renouvellement s'imposait. Ce « nouveau totalitarisme de marché » a ainsi accouché d'un système de propagande segmenté « de marché ». Fini le temps où la lecture du Quotidien du peuple était obligatoire pour tous ! La classe moyenne dispose de ses propres revues, et les basses classes ont les leurs, qui distillent un discours sur mesure. Le pouvoir utilise de nouveaux outils sur Internet, comme le « great firewall » (la « Grande muraille » électronique qui sert à censurer l'information et les médias sociaux), pour « gérer » comme bon lui semble la société. Ce « nouveau totalitarisme » octroie à la population certaines libertés individuelles, mais personne n'oublie que celles-ci peuvent être révoquées à n'importe quel moment et sans avertissement.
P. G. - Ce n'est donc pas parce que la Chine progresse sur le plan économique qu'elle se démocratise...
M. X. - Les trente dernières années ont montré que cette trajectoire d'une économie de marché placée sous contrôle autoritaire a peu de chance de conduire à la démocratie. Ce type de développement économique ne fait, au contraire, que renforcer le nouveau totalitarisme dont je parlais à l'instant. L'économie s'est considérablement développée au cours de la période 2008-2012. Or, durant ce laps de temps, le pouvoir a accentué son …
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