Roland Dumas a été le ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand de 1984 à 1986 puis à nouveau de 1988 à 1993. De 1995 à 2000, il fut aussi président du Conseil constitutionnel, avant de reprendre sa carrière d'avocat. Malgré le rôle éminent qu'il a tenu au sein de la « mitterrandie », son action est régulièrement contestée au sein du Parti socialiste, où l'on n'apprécie pas toujours ses prises de position et ses amitiés politiques. Exemple parmi d'autres : en 2010, il a créé la polémique en se rendant en Côte d'Ivoire en compagnie de son ami Jacques Vergès pour soutenir Laurent Gbagbo, qui contestait la victoire d'Alassane Ouattara à l'élection présidentielle - et cela, alors même que la classe politique française, PS compris, s'était rangée aux côtés de M. Ouattara. On reproche aussi souvent à M. Dumas d'afficher une certaine indulgence envers divers leaders pour le moins autoritaires comme Bachar el-Assad ou Vladimir Poutine... Ce qui est sûr, c'est que, à 93 ans, cette forte personnalité n'a perdu ni sa verve ni son sens de la provocation.
I. L.
Isabelle Lasserre - Monsieur le ministre, vous avez longtemps été, aux côtés de François Mitterrand, le personnage clé de la politique étrangère de la France. Avec le recul, de quelles actions entreprises à la tête de la diplomatie française êtes-vous le plus fier ?
Roland Dumas - Ce dont je suis le plus fier, c'est d'avoir contribué énergiquement et, je crois, avec un certain succès à la construction de l'Europe. C'est d'autant plus important pour moi que j'avais d'abord été un adversaire de cette construction. Pour les raisons familiales que vous connaissez (1), je m'opposais à la rapidité du réarmement allemand. J'ai donc voté contre les premiers traités européens. Et pourtant, à ma surprise, François Mitterrand, lorsqu'il m'a fait entrer au gouvernement, m'a proposé le portefeuille des Affaires européennes. Je m'en souviens bien, c'était pendant un voyage officiel en Yougoslavie. Il était de très mauvaise humeur. « Roland, m'a-t-il dit, je vous le demande car la construction européenne est l'affaire la plus importante de notre génération. » Nous nous sommes revus à Paris peu après et il m'a alors résumé son idée de l'Europe : nous nous appuyons sur l'Allemagne, et l'Allemagne s'appuie sur nous. Il m'a aussi assuré que la France, tout en restant dans l'Otan, ne rejoindrait pas le commandement intégré de l'Alliance. J'ai accepté ; aujourd'hui, je suis fier d'avoir scellé la réconciliation définitive entre la France et l'Allemagne (2).
I. L. - Y a-t-il, à l'inverse, des décisions que vous regrettez ?
R. D. - J'ai commis une erreur d'appréciation au Proche-Orient. Après avoir contribué à la paix au Cambodge en organisant une conférence à Paris (3), j'ai proposé à François Mitterrand de répéter l'expérience au Proche-Orient. Il m'a prédit que je n'y arriverais pas et que mon projet était voué à l'échec, mais il m'a laissé faire. De là sont nées mes initiatives dans le conflit israélo-palestinien. Comme vous pouvez le constater aujourd'hui, elles n'ont pas débouché sur la paix... Mon erreur d'appréciation fut de croire que ma personnalité, mon poste, ma proximité avec les Palestiniens et le simple fait que je me déplace me permettraient de réussir. Ce ne fut pas le cas, hélas.
I. L. - Quels sont les personnages de la scène internationale qui vous ont le plus marqué ?
R. D. - Pour l'anecdote, l'un des dirigeants que j'ai le plus appréciés était... Ronald Reagan ! Il avait beaucoup d'humour et avait toujours une bonne histoire à raconter. Certes, il représentait un courant de pensée, celui de la droite américaine, qui n'était pas le mien - François Mitterrand était parfois glacial à son égard -, mais il était très sympathique et intelligent. Il avait aussi l'appui de l'« espionne » de la communauté anglo-saxonne, Margaret Thatcher. J'ai souvent entendu Mme Thatcher s'écrier : « Ah non ! On ne peut pas faire ça à Ronald ! » Ils étaient comme un frère et une soeur.
I. L. - Y a-t-il un autre responsable étranger qui vous ait particulièrement impressionné ?
R. …
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