Les médias, de même que les grandes puissances internationales, ont trop souvent tendance à négliger le conflit armé au Yémen, qui a débuté en mars 2015. Pourtant, le nombre de victimes (près de dix mille, dont environ la moitié sont des civils), l'ampleur des destructions des infrastructures et des villes, les interventions directes des acteurs régionaux et les effets déstabilisateurs de cette guerre méritent qu'on y accorde la plus grande attention. Depuis les premières semaines des combats, les agences de l'ONU, ainsi que diverses ONG de droits de l'homme et humanitaires ne cessent de tirer la sonnette d'alarme, n'hésitant pas à établir un parallèle évocateur avec la guerre en Syrie. Mais elles semblent prêcher dans le désert : les efforts visant à favoriser un règlement pacifique et négocié restent minimaux et le désintérêt envers cette guerre est patent (1).
Outre la complexité inhérente au conflit et les effets induits par la longue absence des journalistes étrangers au Yémen, l'une des sources de ce désintérêt provient de la lecture qui est généralement faite de l'affrontement en cours : comme dans le cas syrien, les ingérences des acteurs régionaux laissent aisément croire à une guerre menée par procuration et qui échapperait donc aux Yéménites. Pourquoi faudrait-il alors se plonger dans les subtilités locales si, de toute façon, le sort du pays se joue dans la confrontation entre Riyad et Téhéran ?
Une telle approche, qui place l'Arabie saoudite et l'Iran en première ligne, n'est pas dénuée de sens. Il est indéniable que la rivalité entre la monarchie saoudienne, qui se veut protectrice des sunnites, et la République islamique d'Iran, à l'avant-garde chiite, pèse lourdement sur la politique moyen-orientale. C'est particulièrement vrai depuis l'invasion américaine de l'Irak en 2003 qui a contribué à générer, chez les sunnites du Moyen-Orient, un sentiment de relégation, avec des conséquences importantes pour l'ensemble de la région. Cette polarisation confessionnelle constitue l'une des racines du soutien à l'organisation État islamique parmi les sunnites (2) et il est tout à fait normal que chacun l'intègre dans ses analyses.
Toutefois, l'idée que le Yémen ne serait que le théâtre d'une guerre menée par des acteurs extérieurs pour des motivations qui leur sont propres est bien trop simplificatrice et produit certaines incompréhensions. Comme ailleurs, y compris en Irak et en Syrie, une telle vision minore les ressorts locaux qui poussent les belligérants, par-delà des identités religieuses ou des intérêts transnationaux, à s'engager et à se battre. En outre, colportée par les diverses parties du conflit yéménite et par certains analystes, cette présentation des choses présuppose que toute régionalisation ou internationalisation d'un conflit serait par nature contre-productive : sans l'Arabie saoudite et sans l'Iran, nous dit-on parfois, les Yéménites parviendraient à s'entendre. L'objet de cet article est d'expliciter les limites d'une telle perception.
Soyons clairs : les racines du conflit du Yémen sont essentiellement locales. Mais cela n'implique aucunement que ses effets se cantonnent au territoire de ce pays. Bien au contraire, le potentiel de déstabilisation régionale est élevé, en termes tant …
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