Entretien avec Mauricio Macri, Président de la République argentine depuis 2015, par Alice Pouyat, journaliste indépendante basée à Buenos Aires.
Alice Pouyat - Monsieur le Président, commençons par une photo qui a fait beaucoup rire et parler en Argentine : celle de votre chien dans le fauteuil présidentiel. Quel message souhaitiez-vous faire passer sur la fonction de président ?
Mauricio Macri - Il s'agissait de mettre fin à une véritable saga ! Balcarce est un chien que nous avons adopté et qui nous a accompagnés pendant toute la campagne. Finalement, Balcarce est arrivé rue Balcarce, qui est l'adresse du palais présidentiel... Au-delà de l'anecdote, je pense sincèrement qu'il faut s'éloigner du cérémonial qui entoure trop souvent la fonction présidentielle et rendre cette fonction plus concrète, plus humaine, plus empathique.
A. P. - Mais cette désacralisation n'est-elle pas contraire à la tradition argentine ?
M. M. - Il est vrai que l'Argentine a un régime présidentiel et que le Parlement y a moins de poids qu'ailleurs. Il est vrai, aussi, que Cristina Kirchner a incarné à l'extrême cette personnalisation de la politique... Pour ce qui me concerne, je crois au travail d'équipe. J'essaie de soutenir et de stimuler les gens qui m'accompagnent. Je souhaite, aussi, renforcer l'équilibre entre les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), et je veux que la presse, les organisations sociales et le secteur privé jouent tous un rôle important. Ma vision, c'est que le président doit asseoir son leadership sur le consensus. Je suis absolument opposé à ce que le chef de l'État impose arbitrairement ses décisions au pays.
A. P. - Vous êtes le fils de l'un des plus grands industriels du pays. Est-ce pour cette raison que vous ressentez le besoin d'insister particulièrement sur le fait que vous êtes une personne simple, proche des électeurs ?
M. M. - Ce n'était pas vraiment le but de la photo de Balcarce ! Je pense avoir démontré tout au long de ma vie que je me comportais en toutes circonstances avec simplicité. Que ce soit en tant que président du club de football de Boca Juniors ou en tant que maire de Buenos Aires, j'ai essayé de montrer que la fonction ne fait pas la personne. Je n'ai pas besoin d'adopter de « postures ». Je suis quelqu'un d'authentique.
A. P. - Il y a un an, bon nombre d'observateurs affirmaient qu'il vous serait difficile d'être élu face au puissant mouvement péroniste. Les sondages vous ont longtemps donné perdant contre Daniel Scioli. Comment êtes-vous parvenu à inverser la situation ?
M. M. - « Bon nombre d'observateurs », dites-vous... C'est encore en dessous de la réalité ! En vérité, tout le monde ou presque pensait que je n'avais aucune chance d'être élu. C'est pourquoi mon équipe et moi-même pouvons aujourd'hui dire à bon droit : « Nous avons rendu possible l'impossible. » L'explication de ma victoire, c'est que, au cours de la campagne, les Argentins se sont mis à croire en eux-mêmes. Ils ont senti qu'ils méritaient mieux que ce qu'on leur annonçait comme inéluctable. Ils ont parié sur le changement, et ce changement est arrivé. D'où la joie que l'on ressent actuellement dans le pays !
A. P. - Puisque nous sommes dans un pays de psychanalyse, je me permets cette question : gagner la présidentielle, n'était-ce pas, pour vous, une manière de gagner le combat de votre vie, c'est-à-dire le combat contre votre père qui vous a souvent défié publiquement (1) ?
M. M. - Ma vocation politique est née d'une sorte d'appel interne. Incontestablement, les quatorze jours pendant lesquels j'ai été enlevé et séquestré en 1991 (2) m'ont profondément marqué. Cette expérience extrême m'a fait comprendre à quel point tout est fragile dans la vie. J'en ai conclu que chacun doit agir là où il pense pouvoir apporter quelque chose à ses contemporains, là où il sait qu'il sera utile. Et j'ai senti que, personnellement, c'est dans les affaires publiques que je devais m'impliquer. Cette décision a irrité mon père, qui souhaitait que je continue à travailler dans les entreprises familiales ; et nous avons eu d'importantes disputes. Il n'empêche que je n'ai jamais douté de son affection et que je lui suis très reconnaissant pour tout ce qu'il m'a appris.
A. P. - Votre victoire, c'est aussi la défaite du kirchnérisme. Quelles ont été, selon vous, les plus grandes erreurs de Cristina Kirchner ?
M. M. - Mentir. Promettre et ne pas tenir ses promesses. Ne pas résoudre les problèmes concrets des plus démunis. Notre pays déborde de richesses naturelles et possède d'excellentes ressources humaines. Le contexte régional était favorable : l'Amérique latine vient de vivre l'une de ses meilleures décennies. Et pourtant, 30 % des Argentins vivent dans la pauvreté. Rien ne saurait excuser l'incapacité du pouvoir précédent à aider ces gens. C'est précisément ce qui a poussé une grande partie des Argentins à dire : « basta. »
A. P. - Y a-t-il tout de même des choses positives à retenir du kirchnérisme ou, du moins, du péronisme ?
M. M. - Il y a, indéniablement, de bons aspects dans le péronisme : la défense de la justice sociale, la promotion de l'égalité des chances... Le problème, c'est qu'il a échoué au moment de mettre ces beaux principes en pratique. C'est à nous, à présent, de relever ce défi : construire une Argentine où les citoyens seraient réellement égaux en droits, où chacun pourrait pleinement réaliser son potentiel, où la pauvreté serait éradiquée et le narcotrafic vaincu.
A. P. - Vous n'aimez pas que l'on vous classe à droite. Quelles sont les valeurs du macrisme ?
M. M. - Ma conviction, c'est que les étiquettes de gauche et de droite sont dépassées. Se focaliser sur les différences idéologiques empêche les gouvernants de prendre les meilleures décisions. Si une personne avec qui j'ai des désaccords de fond avance une proposition intéressante sur un sujet donné, je l'écouterai attentivement et j'appliquerai cette idée si elle me convainc. Je ne ferai pas la sourde oreille sous prétexte que je ne suis pas sur la même ligne idéologique que mon interlocuteur ! Ce qui compte, …
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