Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le Brésil dans la tempête

Un pouvoir à la dérive

Parmi tous les épisodes du « feuilleton » brésilien, en voici un qui en dit long sur la décomposition de la vie politique brésilienne en général et la « faillite » du Parti des Travailleurs (PT) en particulier. Le 17 avril, trois semaines avant le vote d'impeachment à la Chambre des députés contre la présidente Dilma Rousseff (68 ans), l'inexpérimenté Alessandro Teixeira, 44 ans, membre du PT, est nommé ministre du Tourisme en remplacement d'un représentant du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre droit) qui vient de démissionner pour mieux destituer la présidente qu'il était censé servir (1).
Tout juste entré en fonctions, le nouveau titulaire du poste ne trouve rien de mieux à faire que de prendre des « selfies » dans son bureau ministériel à Brasilia en compagnie de sa spectaculaire épouse. Or cette dernière n'est autre que Milena Santos, lauréate en 2013 du concours « Miss Bumbum » qui distingue les femmes dotées des poitrines et des arrière-trains les plus voluptueux. À l'instar de gagnants du Loto se vautrant dans une débauche de luxe, le couple se photographie dans le palais du pouvoir en train de s'embrasser sur la bouche. Loin de mesurer le côté déplacé de la chose au moment où - circonstance aggravante - le pays est plongé dans une grave crise économique, la femme du ministre s'empresse de poster les clichés sur Facebook. Mieux : comme le révèle la presse, Miss Bumbum publie également d'autres images, vraiment vulgaires, où elle pose devant le Parlement de Brasilia en exhibant la partie la plus charnue de son intéressante anatomie ! Un commentaire triomphant accompagne le tout : « À côté d'un grand homme se trouve toujours une belle et puissante femme. » Voilà donc à quelle profondeur abyssale est tombé le PT fondé par Lula en 1980 et qui, allié à l'intelligentsia, s'est hissé au pouvoir en 2003 avec pour noble projet de cultiver l'éthique en politique... Treize ans plus tard, force est de constater que l'on est loin du compte. Mince satisfaction : trois semaines après la séance de photos qui en a fait la risée du pays, l'éphémère ministre du Tourisme avait quitté son poste, balayé par la procédure de destitution contre Dilma Rousseff.
L'année 2016 restera dans l'Histoire comme l'annus horribilis de la gauche brésilienne. D'abord, la coalition gouvernementale, composée de neuf partis, s'est écroulée comme un château de cartes. Ensuite, la présidente Dilma Rousseff a été destituée par un vote écrasant de la Chambre des députés et remplacée par son vice-président Michel Temer, du PMDB. Officiellement, ce dernier n'est que président par intérim et Mme Rousseff demeure la présidente en titre pendant une période maximale de 180 jours au terme de laquelle le Sénat doit confirmer la mesure.
Surtout, l'« affaire Petrobras », qui implique plus d'une centaine d'hommes d'affaires et une cinquantaine de parlementaires, éclabousse les principaux partis politiques de la coalition gouvernementale de Dilma Rousseff, y compris le supposé « éthique » PT. Sans oublier quatre élus de l'opposition.
Cerise sur le gâteau, la septième économie du monde (2) est entrée dans un cycle de récession inédit. En 2015, le PIB a plongé de 3,8 %. Du jamais vu depuis un quart de siècle. L'agriculture tire son épingle du jeu mais l'industrie, elle, s'effondre (- 6,7 %). Quant aux services, premier secteur économique du pays, ils reculent de 2,7 %. En 2016, cette chute devrait se poursuivre au même rythme (- 4 %). Et, selon des estimations pessimistes, une troisième année de décroissance n'est pas à exclure pour 2017. Une contre-performance historique : jamais depuis 1930 et 1931 l'économie brésilienne ne s'était contractée pendant deux années consécutives.

L'héritage de l'ère Lula

Indéniables progrès sociaux...

La fin du boom des matières premières et le ralentissement de la demande chinoise constituent la première explication de la spirale infernale dans laquelle le Brésil se trouve aspiré. Pendant la première décennie du XXIe siècle, la plus grande économie du continent voit exploser ses exportations de minerais, de soja et de sucre. Ce « supercycle », qui coïncide avec la présidence Lula (2003-2010), n'est pas sans rappeler ceux du bois, de l'or, du café et du caoutchouc. À travers cinq siècles d'Histoire, ce sont ces flambées qui ont fait les fortunes successives du Brésil... avant de s'arrêter brutalement. En 2010, le phénomène atteint son point culminant : dans un climat d'euphorie nationale, le PIB brésilien progresse de 7,5 %... puis décélère l'année suivante.
Visionnaire dans le domaine social (mais pas dans les autres), le président Lula utilise cette manne pour mettre en oeuvre un plan national, Fome zero (Faim zéro), visant à éradiquer la faim et à réduire les inégalités de revenus. Baptisé Bolsa familia (bourse familiale), le plus célèbre programme de ce dispositif repose sur un principe simple : chaque famille nécessiteuse reçoit une allocation mensuelle (environ 70 euros par enfant), à la double condition de scolariser sa progéniture et de l'emmener régulièrement au dispensaire. En 2014, 11 millions de familles bénéficient du programme. Résultat, selon la Banque mondiale : la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 17,3 % en 2006 à 7,4 % en 2014. Sous Lula, environ 30 millions de personnes sont sorties de la misère absolue pour atteindre un niveau de pauvreté « acceptable ». Et, pour la première fois dans l'histoire du pays, la « classe C » (la classe moyenne, selon la terminologie brésilienne) représente plus de la moitié de la population.
L'ascenseur social est en marche : même les Brésiliens modestes deviennent des consommateurs en puissance et contribuent par leurs achats (dans les supermarchés, les magasins d'habillement ou d'électroménager) à stimuler la croissance. Et cela, d'autant plus aisément que, dans le même temps, le crédit à la consommation est facilité et encouragé - ce qui, au passage, accroît gravement le surendettement des ménages...
... mais manque criant de réformes structurelles
Hélas, focalisé uniquement sur la réduction immédiate de la pauvreté, le gouvernement, dénué de vision stratégique globale, néglige de procéder aux réformes structurelles qui s'imposent. Ainsi, l'indispensable modernisation des infrastructures (routes, ports, aéroports) dont il est question depuis les années 1990 est totalement laissée de côté. Les seuls investissements d'envergure concernent... les stades de football et les équipements sportifs. Le gouvernement était naïvement persuadé que l'organisation du Mondial 2014 et des Jeux olympiques 2016 générerait de la croissance et accroîtrait la popularité de l'équipe au pouvoir. Or c'est l'inverse qui s'est finalement produit.
Sous Lula, l'État s'appuie toujours sur une bureaucratie hypertrophiée et noyée sous la paperasse, exactement comme dans les années 1970 sous le régime militaire. Entre 2003 et 2009, le nombre de fonctionnaires fédéraux a même augmenté de 10 % ! Quant au système de retraite de la fonction publique, il demeure extrêmement généreux, ce qui contribue à grever les comptes de l'État (l'âge moyen du départ à la retraite est actuellement de 54 ans, avec des indemnités calculées sur 70 % du dernier salaire). Enfin, ni le système scolaire, ni celui de la santé, ni la sécurité publique n'auront connu de réelle amélioration.
« Au pouvoir, le PT aurait pu profiter de la conjoncture internationale favorable et de l'argent public dont il disposait pour donner une impulsion et développer réellement le Brésil, estime Marco Antonio Vila, historien à l'Université de São Paulo (3). Mais rien n'a été accompli. La décennie PT aura été une décennie perdue. »

La vague de mécontentement populaire

Du pain et des jeux ?
Dès le retournement de la conjoncture, les faiblesses structurelles du Brésil, hâtivement surnommé « le meilleur élève des BRICS » (4), apparaissent au grand jour. Les caisses de l'État sont vides, les investisseurs étrangers se détournent du pays, le chômage grimpe en flèche jusqu'à atteindre la barre des 10 %, le réal recule de 30 % face au dollar. Et, selon le cabinet de consultants Tendencias, plus de trois millions de familles appartenant à la « classe C » risquent le déclassement en « classe D » (les pauvres) ou « E » (les très pauvres) d'ici à 2017. Brutal réveil.
Au printemps 2013, à la moitié du premier mandat de Dilma Rousseff, entrée en fonctions le 1er janvier 2011, la rue s'embrase soudainement. Un an avant le Mondial, une première vague de manifestations vise l'organisation, au Brésil, de la Coupe des Confédérations (5). Alors que la population ressent la morsure de la récession, la rue, indignée, dénonce les appels d'offres truqués liés à la construction des stades en vue de la Coupe du monde 2014. L'un des pourfendeurs les plus véhéments de ces détournements d'argent n'est autre que le célébrissime Romario. Ex-attaquant du FC Barcelone et de la sélection brésilienne, avec laquelle il a remporté la Coupe du monde 1994, il est devenu député de Rio de Janeiro, élu en 2011 sous la bannière du Parti socialiste brésilien (PSB, centre gauche, non membre de la coalition gouvernementale de Dilma Rousseff) (6).
La colère populaire s'exprime à nouveau à l'approche du Mondial. Cependant, la présidente n'est pas encore directement visée. Au cours de la compétition, les performances de la Seleção (l'équipe nationale), humiliée par l'Allemagne 7 buts à 1 en demi-finale, n'arrangent pas l'humeur, déjà morose, du pays... Deux mois et demi plus tard, en octobre 2014, Dilma Rousseff est tout de même réélue au second tour à l'issue d'un scrutin relativement serré face au candidat du Parti social-démocrate brésilien (PSDB) Aecio Neves par 54,5 millions de voix contre 51 millions, soit 51,6 % contre 48,4 %. Cofondé par l'ex-président Fernando Henrique Cardoso, le PSDB - à ne pas confondre avec le PMDB - dominait la vie politique brésilienne jusqu'à l'avènement du PT et de Lula ; São Paulo demeure son fief (7).
Dès le début de son second mandat, Mme Rousseff met en oeuvre une politique de rigueur contraire à ses promesses de campagne, ce qui suscite le mécontentement de sa base électorale du PT. Des parlementaires du parti « luliste » refusent même de voter le programme d'austérité de Dilma Rousseff, laquelle s'appuie dès lors sur le PMDB, qui voit ainsi sa position renforcée au sein de la coalition gouvernementale.
Le scandale Petrobras
Parallèlement, le scandale Petrobras prend de l'ampleur. C'est une affaire qui a démarré discrètement par une modeste enquête concernant des opérations de blanchiment d'argent effectuées via un bureau de change situé dans une station-service (d'où le surnom « Lava Jato », c'est-à-dire « lavage express », qui lui est accolé) à Brasilia. Au fil de leurs investigations, les juges découvrent un réseau de corruption beaucoup plus étendu qu'ils ne l'avaient imaginé : ils remontent jusqu'à des directeurs de la compagnie pétrolière nationale Petrobras, à des patrons d'entreprises du BTP travaillant pour ladite société et à des dizaines d'élus de tous bords, principalement des alliés de la coalition gouvernementale et des membres du PT. Ce réseau tentaculaire finance des campagnes électorales de nombreux parlementaires et alimente leurs comptes en banque ; en contrepartie, ces derniers votent les lois dans le sens voulu par le gouvernement. Ces détournements d'argent phénoménaux concernent, dans l'ordre, le Parti progressiste (PP, quatrième parti du pays par le nombre de ses adhérents et de ses élus), le PMDB et le PT.
Le juge fédéral en charge de l'ensemble du dossier, Sergio Moro, acquiert rapidement l'image d'un héros aux yeux des manifestants écoeurés par la corruption généralisée. Basé à Curitiba (État du Parana, sud du pays), réputé incorruptible, l'implacable magistrat dirige l'enquête avec une solide équipe de « petits » juges. L'enquête de cet « Eliot Ness brésilien » révèle l'étendue du problème. Sur près de 600 parlementaires, plus d'une centaine sont dans le collimateur de la justice ou mis en examen dans le cadre de l'affaire Petrobras. Et plus d'une centaine d'autres ont également des démêlés avec la justice, mais dans d'autres affaires. Lula est cité à deux reprises dans les enquêtes en cours. L'ancien président est soupçonné (mais rien n'est prouvé) d'avoir bénéficié des faveurs de deux entrepreneurs pour les rénovations d'un appartement avec vue sur mer et d'une maison de campagne. Le nom de Dilma Rousseff, en revanche, n'apparaît nulle part. L'enquête avance vite, grâce au système de la « delação premiada », ou dénonciation récompensée : toute personne placée en détention préventive pour un crime ou un délit peut obtenir des réductions de peine d'un tiers, voire des deux tiers, ou encore bénéficier d'un régime de semi-liberté, à condition de livrer des informations - et des noms - utiles à la justice. Cette loi récente a été promulguée par Dilma Rousseff en 2013.
Les 200 millions de Brésiliens sont sonnés. Certes, la corruption endémique de la classe politique tenait du secret de Polichinelle. Mais ils n'imaginaient pas que ses ramifications s'étendaient aussi profondément au coeur du système économique. Déjà, le premier mandat du président Lula (2003-2006) avait été entaché par le scandale du « mensalão », un système d'achat de voix concernant une trentaine de parlementaires qui, en échange d'un versement mensuel équivalent à 11 000 euros sur leur compte en banque, votaient les lois dans le sens souhaité par le gouvernement. Un temps inquiété, le chef de l'État, dont le charisme était alors à son zénith, avait finalement été épargné. En revanche, son plus proche collaborateur, José Dirceu, ministre de la Casa Civil (l'équivalent brésilien du poste de premier ministre additionné à celui de secrétaire général de la présidence) avait dû démissionner en juin 2005 avant d'être remplacé par une certaine... Dilma Rousseff (8). En 2006, Lula perd encore un poulain talentueux et successeur possible, le ministre du Budget Antonio Palocci : éclaboussé par d'autres affaires, il est contraint à la démission. Dès lors, le président s'appuie de plus en plus sur une personnalité longtemps restée inconnue du grand public : la susdite Dilma Rousseff.
Par l'ampleur des sommes en jeu, le scandale Petrobras dépasse largement celui du « mensalão » : la bagatelle de l'équivalent de 2 à 3 milliards d'euros d'argent public aurait été détournée entre 2004 et 2014 ! Il s'agit, tout simplement, du plus gros scandale de l'histoire du Brésil et de l'Amérique du Sud, et de l'un des plus importants au monde. Dès le début du second mandat de Dilma Rousseff, en janvier 2015, l'opposition, profitant des révélations en cascade et du climat d'indignation générale, évoque l'idée d'une procédure d'impeachment.
Dans le courant de l'année, les adversaires de la première femme élue à la tête du Brésil cherchent et trouvent la brèche juridique qui permet de mettre la présidente en accusation : ils lui reprochent de s'être adonnée au « pédalage budgétaire » (pedalada fiscal), un jeu d'écritures destiné à présenter le bilan de son premier mandat sous un jour plus favorable. Dilma Rousseff ne le nie pas mais assure qu'il s'agit d'une pratique déjà courante, plusieurs fois utilisée par ses prédécesseurs. Il n'empêche : selon l'opposition, la présidente a été indûment réélue. En maquillant les chiffres, elle s'est, en tout cas, rendue coupable du « crime de responsabilité administrative » - un des nombreux cas qui, dans la Constitution brésilienne de 1988, permet de déclencher une procédure d'impeachment à l'encontre du chef de l'État. En décembre 2015, le président (PMDB) de la Chambre des députés Eduardo Cunha (9), ex-allié de Mme Rousseff devenu son ennemi juré (parce qu'en 2014 elle avait tenté de bloquer sa candidature au perchoir), accepte la demande de procédure d'impeachment déposée par trois juristes : un ancien ministre de la Justice, un ancien maire adjoint de la ville de São Paulo et une professeure de droit de l'Université de São Paulo.
Paradoxe : Dilma Rousseff est l'une des très rares figures politiques du pays - peut-être l'unique - à n'avoir jamais utilisé sa fonction à des fins d'enrichissement personnel. Toute l'ambiguïté est là : la procédure qui la vise est strictement politique, sans lien juridique avec le scandale Petrobras. Pourquoi tant de haine ? Pour le comprendre, il convient de revenir quelques années en arrière.

L'ascension et la chute de Dilma Rousseff

La « femme providentielle »
Après l'éviction de son successeur naturel José Dirceu en 2005, Lula - nous l'avons dit - remplace ce dernier par Dilma Rousseff au poste de ministre de la Casa Civil. Cette ancienne militante d'extrême gauche - qui fut emprisonnée trois ans sous le régime militaire (1964-1985) et subit des tortures pendant sa détention - s'impose par sa capacité de travail au point de devenir indispensable. Présentée comme la femme providentielle au moment où Lula s'apprête à tirer sa révérence, elle est désignée pour porter les couleurs du PT à la présidentielle de 2010, mais sa candidature présente quelques carences : dépourvue de sens politique et de capacité de séduction, cette austère technocrate n'a jamais affronté les urnes. Au contraire, elle a accompli toute sa carrière dans l'ombre des cabinets ministériels. Il n'empêche : fort de ses 80 % de popularité, le président Lula parvient à imposer cet « ovni politique » qu'il fait passer pour la « mère » dont le Brésil a besoin. Le 31 octobre 2010, elle est élue présidente avec 56 % des suffrages face à José Serra (PSDB).
Au début, tout va bien. Jusqu'en mars 2013, Dilma Rousseff jouit d'une cote de popularité impressionnante : 65 %, selon l'institut Datafolha. Trois mois plus tard, cette année-là, première alerte : lors des manifestations contre la Coupe des Confédérations, en juin, cette cote tombe à 30 % (mais remonte à 40 % au moment de sa réélection). En 2015, en plein développement de l'affaire Petrobras et, surtout, dans un contexte de récession, elle plonge à nouveau à 23 % en février, à 13 % en avril et à 8 % en août (puis remonte légèrement à 11 % au premier trimestre de 2016).
Les limites de Mme Rousseff, incapable de trouver les mots et le ton adéquats pour s'adresser à la nation, finissent par sauter aux yeux, dans un pays où le système politique requiert des qualités humaines personnelles particulières.
Une présidente bien peu diplomate
Élaborée après le retour à la démocratie, la Constitution de 1988 a encouragé la multiplication des partis politiques. Il en résulte une fragmentation politique unique au monde. La Chambre des députés et le Sénat se composent d'une myriade de formations. Il y en a au total trente-deux, dont trois seulement, déjà évoquées plus haut, jouent dans la cour des grands : le Parti des travailleurs (PT) de Lula ; le Parti social-démocrate brésilien (PSDB), fondé par Fernando Henrique Cardoso ; et le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre droit). Les vingt-neuf autres formations sont littéralement des commerçants de la politique. Leurs membres se vendent aux gouvernements successifs afin d'obtenir, au coeur de la tentaculaire bureaucratie brésilienne, des positions qui leur permettent de faire des affaires. Le système politique est donc le théâtre d'un marchandage permanent qui exige du président des qualités de négociateur hors pair.
À la Chambre des députés, aucun parti de gouvernement n'a jamais dépassé 20 %. Aux dernières élections législatives, tenues le 5 octobre 2014, le PT n'a recueilli que 13,93 % des voix et 68 sièges sur 513. La coalition établie par Dilma Rousseff regroupe ainsi neuf partis différents. Pour gouverner au Brésil, il faut nouer des alliances et satisfaire tous ses alliés - raison pour laquelle le gouvernement comptait 39 ministres en 2013 (soit près du double de la plupart des pays de l'OCDE). D'où l'expression « présidentialisme de coalition ». Or, contrairement à son habile prédécesseur qui consacrait un temps infini à caresser les élus de tous bords dans le sens du poil, l'autoritaire Dilma Rousseff est naturellement rétive au dialogue. Résultat : elle s'est aliéné d'innombrables alliés et collaborateurs. Durant ses cinq années et demie au pouvoir, elle n'a jamais, ou presque, consenti à recevoir les parlementaires qui sollicitaient des audiences, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition. Exemple parmi d'autres : l'ancien sénateur Eduardo Suplicy, une figure appréciée au sein du PT, a raconté qu'après des demandes répétées auprès du Planalto, le palais de la présidence, et autant de fins de non-recevoir il avait renoncé à parler avec la présidente. Ce n'est donc pas tout à fait un hasard si la liste de ses ennemis intimes compte cinq anciens ministres ainsi que son propre vice-président, Michel Temer (PMDB), aujourd'hui président par intérim.
« Autoritaire », « cassante », « rigide », « intransigeante », « technocratique », « dogmatique », « méprisante » : les qualificatifs peu amènes fusent pour décrire l'ancienne militante d'extrême gauche. « Elle s'est mis à dos les secteurs financiers, puis ses alliés au Congrès, puis la presse, puis la population, puis la base du PT et enfin certains lulistes », énumère un journaliste politique de São Paulo. « En politique, soit vous parlez avec les autres, soit vous mourez », a résumé pour sa part Alfredo Nascimento, ancien ministre des Transports de Lula puis de Dilma Rousseff et actuel député de l'État d'Amazonas, qui a voté en faveur de l'impeachment en avril dernier. L'économiste André Rebelo, attaché à la puissante Fédération des industries de l'État de São Paulo (Fiesp), conclut : « Gouverner le Brésil requiert trois choses : écouter les gens, dialoguer avec les parlementaires, faire des compromis. Elle n'a fait aucune des trois et a rendu le pays ingouvernable. »
À Brasilia, les crises de colère de Mme Rousseff étaient devenues légendaires. Tel jour, elle refusait de rencontrer un leader des Indiens d'Amazonie ; tel autre, elle humiliait un collaborateur pour une broutille ; un troisième, elle vociférait contre le pilote de l'avion présidentiel qui n'avait pas contourné une zone de turbulences. Lors des réunions avec ses conseillers, elle aurait pris l'habitude de les interrompre en commençant par ces mots : « Écoute, laisse-moi t'expliquer quelque chose... » Dans son bureau de São Paulo, l'ancien président Fernando Henrique Cardoso s'amuse de l'absolu manque de tact de celle qui occupe désormais le bureau qui fut le sien pendant huit ans (1994-2002). « Un jour, lors d'une cérémonie officielle où je me trouvais à ses côtés, elle a voué mon bilan aux gémonies, faisant comme si je n'étais pas là : à aucun moment, l'idée qu'elle manquait de la plus élémentaire courtoisie ne l'a effleurée. Puis, comme si de rien n'était, elle m'a invité à l'accompagner dans sa voiture. J'étais estomaqué », se souvient l'ex-chef de l'État aujourd'hui octogénaire.
Au-delà de son rude caractère, les ennuis de Dilma Rousseff tiennent à son rôle de présidente du conseil d'administration de Petrobras - poste qu'elle a occupé de 2003 à 2010, au titre de membre du gouvernement. Une période qui correspond grosso modo à la mise en place du système « Lava Jato ». Certes, celle qui fut ministre des Mines et de l'Énergie (2003-2005) sous Lula assure, de manière convaincante, n'avoir découvert le scandale qu'après en avoir été informée par les juges. Mais la concomitance de son mandat avec l'expansion de la corruption n'a échappé à personne.
Quoi qu'il en soit, sa responsabilité dans la mauvaise gestion de la compagnie pétrolière est indéniable. Fervent défenseur du capitalisme d'État, Dilma Rousseff a tenu à renforcer le monopole de l'entreprise grâce, par exemple, à l'élaboration d'une législation offrant à Petrobras un contrôle absolu sur l'exploitation des réserves de pétrole découvertes en eaux profondes il y a maintenant une décennie. En rupture avec la politique de libéralisation et d'ouverture aux capitaux étrangers des années 1990, c'est elle, aussi, qui a voulu que Petrobras fabrique elle-même ses navires, ses plateformes pétrolières et d'autres équipements afin que tout soit 100 % « made in Brazil ». Le résultat ? Des retards de livraison, des surcoûts vertigineux, un échec fracassant.
Autre erreur : dans l'espoir de contenir l'inflation, la présidente poursuit la politique de contrôle des prix du carburant. Mise en place par Lula, cette politique empêche Petrobras, qui vend son essence à perte, d'engranger les bénéfices indispensables aux investissements. Au contraire, le géant pétrolier accumule les dettes. Ce n'est pas tout : en subventionnant artificiellement l'essence au détriment des biocarburants, Mme Rousseff a sacrifié la filière naguère florissante de l'éthanol, causant la fermeture des usines de production sucrière et la perte de dizaines de milliers d'emplois. Au total, en raison des orientations choisies, combinées à la dévaluation du réal vis-à-vis du dollar (- 30 % depuis début 2015), l'endettement de Petrobras a explosé pour atteindre la somme astronomique de 90 milliards de dollars. Une situation intenable qui fait craindre un défaut partiel du pétrolier sur sa dette - ce qui aggraverait encore la crise brésilienne.
Les derniers soubresauts d'un pouvoir condamné
C'est dans ce contexte économique que, en mars 2016, au lendemain du carnaval et des grandes vacances australes (dans l'hémisphère Sud, les congés scolaires d'été tombent en décembre et en janvier), on assiste à la reprise des manifestations anti-gouvernementales. Encouragés par tous les syndicats patronaux, notamment la Fédération des industries de São Paulo (Fiesp), les protestataires déferlent dans les rues de la capitale économique du Brésil, mais aussi à Rio de Janeiro et à Brasilia, aux cris de « Dilma, dégage ! » et de « Destitution, maintenant ! ». Parfois présentée à tort comme un combat de classe - les riches défendant leurs privilèges contre les pauvres -, la mobilisation traduit surtout une vraie inquiétude face à la récession, à la mauvaise gouvernance et à la peur du déclassement. Comme le rappelle l'ancien président Fernando Henrique Cardoso, sociologue de métier, « dans les grands moments de mobilisation politique, au Brésil comme ailleurs dans le monde, ce sont toujours les classes moyennes qui font bouger les choses. C'était vrai au moment de la chute du régime militaire au début des années 1980 ; cela l'est encore aujourd'hui ».
Pour autant, tous les manifestants ne sont pas mus par les mêmes motivations. Selon l'essayiste et politologue Tales Ab'Saber (10), cette masse de mécontents issus de la classe moyenne exprime trois opinions différentes : « Il y a une majorité de gens de bonne foi, pour qui il est nécessaire de casser le pacte de corruption qui existe entre l'État et le grand capital, sans quoi le Brésil ne pourra pas se développer. À ceux-là s'ajoute un deuxième groupe, plus cynique, qui veut simplement se débarrasser de la gauche, mais qui ne s'inquiète guère de savoir si le pouvoir continuera à être corrompu. Enfin, il y a ceux qui expriment une demande d'autoritarisme et qui vont jusqu'à souhaiter l'intervention des militaires. Heureusement, ce dernier groupe représentait moins de 10 % des manifestants », estime-t-il. Cette pensée ultra-conservatrice est incarnée par le député d'extrême droite Jair Bolsonaro (élu de Rio de Janeiro), un ancien officier parachutiste dont les prises de position homophobes, anti-discrimination positive, pro-peine de mort ou en faveur du retour au pouvoir des militaires défrayent régulièrement la chronique (11). « On assiste à une résurgence d'un certain conservatisme inhérent à l'histoire du pays bâti par des grands propriétaires ruraux », poursuit Ab'Saber.
Le 4 mars 2016, la tension monte d'un cran lorsque le juge Sergio Moro fait procéder à l'interpellation et à l'interrogatoire de l'ancien président Lula. Nous l'avons dit : des soupçons pèsent sur les travaux de rénovation de son appartement et sur l'acquisition d'une résidence secondaire qui aurait été financée par des entrepreneurs impliqués dans l'affaire Petrobras. Quelques heures plus tard, des écoutes téléphoniques d'une conversation entre Dilma Rousseff et son prédécesseur, ordonnées par le juge « incorruptible » Sergio Moro - qui les fait ensuite fuiter à la presse - révèlent que celle-ci envisage de nommer Lula au poste qu'elle occupait elle-même lorsqu'il était chef de l'État : ministre de la Casa Civil. L'éventuelle manoeuvre est cousue de fil blanc : une telle nomination assurerait à Lula une immunité judiciaire. Plus exactement, elle permettrait de gagner du temps dans la mesure où le juge Moro serait dessaisi de l'enquête concernant Lula, laquelle serait transférée au Tribunal suprême fédéral (STF) à Brasilia. Toute enquête sur un ministre en exercice doit en effet être confiée à cette instance qui, par nature, mènerait ses investigations beaucoup plus lentement.
Le contenu de l'enregistrement téléphonique discrédite et affaiblit Dilma Rousseff : elle apparaît comme une présidente aux abois, incapable de gérer la crise sans le secours de son mentor. Mais la publication de ces écoutes qui ont opportunément fuité dans les médias pose, en tant que telle, un problème car elle est illégale. C'est le premier faux pas (et, à ce jour, le seul) de Sergio Moro. Quelques jours plus tard, une fois neutralisée la nomination de Lula à un poste gouvernemental, le juge reconnaîtra son erreur et exprimera son mea-culpa par voie de presse. Quoi qu'il en soit, un mois plus tard, tous les éléments de la chute finale sont en place.

La destitution, et après ?

Hystérie dans l'hémicycle
Le 17 avril, les 513 élus de la Chambre des députés se réunissent en session extraordinaire afin de se prononcer sur l'ouverture d'une procédure d'impeachment contre la présidente. C'est un spectacle affligeant, retransmis en direct à la télévision. Ce jour-là, à marquer d'une pierre noire dans l'histoire brésilienne, les élus, tous partis confondus, montrent le visage de l'absolue médiocrité en politique. Sans égard pour la solennité historique de l'instant, dans une ambiance de foire d'empoigne, ils éructent, se drapent dans la bannière nationale, affirment, les larmes aux yeux, qu'ils votent contre Dilma pour le bien de leur femme et de leurs enfants, invoquent Dieu et sa miséricorde... Un député chante au lieu de faire un discours. Des banderoles sont déroulées dans un hémicycle où les parlementaires se comportent comme des supporters de football. Rares sont ceux qui se réfèrent au droit constitutionnel et au « crime de responsabilité » qui est pourtant le sujet du jour. À l'issue de cette session houleuse, Dilma Rousseff est écartée du pouvoir par 367 voix contre 137, soit plus que la majorité des deux tiers requise. Ironie de l'histoire : un bon tiers des élus ayant voté l'impeachment sont eux-mêmes soupçonnés de corruption. Quant au président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha (PMDB), détenteur de multiples comptes en banque dans des paradis fiscaux, il est visé par douze procédures judiciaires dans le cadre de l'affaire Petrobras ! Le 6 mai dernier, nouveau rebondissement : il a finalement été suspendu de ses fonctions par le Tribunal suprême fédéral.
Quelques jours plus tard, le 12 mai, c'est au tour des sénateurs de se prononcer une première fois sur l'ouverture de la procédure de destitution. Ils confirment par 55 voix contre 22. Des lors, Dilma Rousseff est officiellement mise sur la touche mais, nominalement, demeure présidente jusqu'à son éventuelle destitution au terme d'une période maximale de 180 jours. D'ici là, le Sénat doit instruire le dossier, puis confirmer (ou non) la sentence à la majorité qualifiée des deux tiers. Le cas échéant, il s'agira de la deuxième fois que le Parlement brésilien destitue son chef de l'État depuis le retour de la démocratie voilà 31 ans (12).
Depuis le début de la procédure d'impeachment, le PT a choisi une stratégie : disqualifier l'opposition en l'associant au souvenir des dictatures sud-américaines des années 1960 et 1970 afin de mieux mobiliser la base militante de la gauche qui manifeste aux cris de « Golpe, não ! », soit : « Non au coup d'État ! » Dans le bureau de la fondation qui porte son nom (13), à São Paulo, l'ancien président Fernando Henrique Cardoso balaie cet argument : « Il ne s'agit nullement d'un coup d'État politique. L'impeachment suit rigoureusement la Constitution. Au Brésil, cette procédure ne se réfère pas nécessairement à un délit qui relèverait du pénal. Il s'agit d'une procédure politique qui interroge la responsabilité du chef de l'État. Or, selon notre Constitution, le fait d'autoriser des dépenses pour l'exécutif sans le feu vert du pouvoir législatif constitue une violation caractérisée de la loi fondamentale. Dilma Rousseff a commis cette faute de manière consciente et réitérée. Au-delà, tout cela se déroule dans un pays avec 11 millions de chômeurs qui traverse une crise morale en raison d'un processus de corruption systématique, élaboré afin de consolider les partis favorables au pouvoir. Voilà pourquoi la présidente a perdu non seulement sa popularité mais - plus grave - sa crédibilité. Résultat, elle n'est plus en mesure de gouverner » (14). Ce n'est pas tout. Par ses choix économiques et, plus encore, par une certaine forme d'autisme en politique, la technocratique Dilma Rousseff a elle-même contribué à gripper la mécanique du jeu des partis. Au point de bloquer la « machine Brésil ».
Le PMDB aux manettes
Dès le lendemain, 13 mai, Dilma s'éclipse et cède le palais présidentiel de Brasilia au vice-président Michel Temer, 75 ans, qui est également président du PMDB. Il faut s'arrêter sur l'identité de ce parti, véritable énigme aux yeux des observateurs extérieurs au Brésil. Héritier du Mouvement démocratique du Brésil (MDB) créé sous la dictature (1964-1985), qui servait à l'époque d'opposition officielle, le PMDB a joué un rôle courageux et déterminant au moment de la transition vers la démocratie (15). Paradoxalement, au cours des trois décennies suivantes, aucun président n'est sorti de ses rangs. Cette formation de centre droit, fortement implantée localement dans les 27 États du pays, est cependant capable de faire et de défaire les coalitions à Brasilia. Après les élections générales de 2014, elle a par exemple obtenu le plus grand nombre de sièges au Congrès, qui réunit la Chambre des députés et le Sénat, ce qui en fait, encore aujourd'hui, le premier parti du pays. Depuis 1985, le PMDB a présidé la Chambre des députés la moitié du temps et le Sénat presque sans interruption. Parti charnière mais aussi parti clientéliste, à la réputation sulfureuse, il est à la fois le problème et la solution.
En 2009, Jarbas Vasconcelos, ancien gouverneur de l'État du Pernambouc, décrivait ainsi le PMDB, son ancien parti, dans une interview à l'hebdomadaire Veja : « Aujourd'hui, il n'a pas de propositions, pas d'idées, pas de combats. C'est une confédération de leaders régionaux, chacun défendant ses intérêts particuliers. 90 % d'entre eux pratiquent le clientélisme et s'adonnent à la captation de fonctions officielles afin de faire du business, de manipuler des appels d'offres, de toucher des commissions. » À peu de chose près, c'est le portrait-robot d'Eduardo Cunha, président (PMDB) de la Chambre des députés suspendu en mai dernier, on l'a dit, en raison des nombreuses accusations dont il fait l'objet dans l'affaire Petrobras...
Quant à Michel Temer, le voici donc président par intérim. Né à São Paulo au sein de l'influente communauté d'origine syro-libanaise, cet avocat a accumulé six mandats consécutifs de député avant de devenir le vice-président du « ticket », allant de la gauche au centre droit, qu'il formait dès 2010 avec Dilma Rousseff. Et cela, en vertu du fameux « présidentialisme de coalition » qui impose à tout candidat à la présidence - et à tout chef d'État - l'obligation de chercher des alliances, le cas échéant au-delà de sa propre sensibilité politique. Dès le début du second mandat, leurs relations se tendent et Temer commence à exprimer son mécontentement : en décembre 2015, il se plaint d'être marginalisé et de ne jouer qu'un rôle purement décoratif malgré son souhait d'aider la présidente. Exemple parmi d'autres : en janvier 2015, contrairement à l'usage, Dilma Rousseff ne l'avait pas convié à rencontrer le vice-président américain Joe Biden lors de la visite de ce dernier à Brasilia. Début 2016, il devient évident que Michel Temer se positionne pour succéder à Dilma qui, en retour, l'accuse d'être un « traître ». Habile manoeuvrier - contrairement à celle qu'il a contribué à faire destituer - et fin connaisseur de la vie parlementaire, il est parvenu à ses fins. Désormais à la tête d'un gouvernement composé de 23 hommes, tous blancs (auxquels il faut cependant ajouter deux secrétaires d'État de sexe féminin, l'une aux Droits de l'homme, l'autre à la Politique pour les femmes), le Machiavel de Brasilia s'est engagé à redresser le pays sans remettre en cause les programmes sociaux tels que Bolsa familia. Il a déjà demandé aux parlementaires d'approuver une série de mesures visant à freiner l'envolée de la dette publique (celle-ci pèse 67 % du PIB). Il veut également réformer d'urgence le système déficitaire des pensions en reculant l'âge minimum de départ à la retraite (l'âge moyen du départ en retraite est actuellement de 54 ans) et en allongeant le nombre d'années de cotisation nécessaires. À l'inverse de Mme Rousseff, il prend soin d'afficher sa volonté de négocier chaque projet avec le Parlement qui avait paralysé l'action de la dirigeante de gauche dès le début de son second mandat en janvier 2015.

Quel président en 2018 ?

Conscient de sa faible popularité dans l'opinion (11 % en juin 2016), le « traître » Michel Temer, dont le nom est cité dans le scandale Lava Jato, a fait savoir qu'il ne serait pas candidat à la prochaine présidentielle, qui aura lieu en 2018. Ce qui laisse la porte ouverte à divers scénarios. Battu au second tour par Dilma Rousseff en 2014, Aecio Neves, qui fut gouverneur de l'État du Minas Gerais et préside le Parti social-démocrate brésilien (PSDB), fait l'objet d'une enquête pour corruption ouverte en mai dernier, ce qui complique son avenir. Réputé compétent, l'économiste José Serra (PSDB également), 74 ans, trois fois battu à la présidentielle (en 2002, 2006 et 2010), pourrait vouloir retenter sa chance en 2018 malgré une absence de charisme handicapante. En attendant, M. Serra, qui fut ministre du Budget puis de la Santé sous Fernando Henrique Cardoso (PSDB, 1994-2002), puis maire de São Paulo et enfin gouverneur de l'État de São Paulo, a retrouvé un portefeuille dans le gouvernement Temer : celui des Affaires étrangères. Il lui incombe de redresser l'image du Brésil, ternie sous Dilma Rousseff en raison, notamment, de son désintérêt absolu pour les questions internationales.
Mais l'homme à surveiller s'appelle Henrique Meirelles, qui n'appartient à aucun parti. Nouveau ministre de l'Économie du gouvernement Temer, c'est lui qui fut le gouverneur de la Banque centrale sous Lula. Premier dans la liste protocolaire du nouveau gouvernement, il a réclamé et obtenu le champ libre pour mettre en oeuvre les réformes économiques qui, selon lui, peuvent redresser le Brésil. Ses trois priorités sont la réforme des retraites, la réforme de la loi sur le travail et le plafonnement des dépenses publiques. Ironie de l'histoire : pendant plusieurs années, Lula a tenté de convaincre Dilma Rousseff de nommer Meirelles au poste qu'il occupe aujourd'hui. Mais la présidente a toujours refusé en raison de jalousies recuites datant de l'époque où Lula écoutait davantage les conseils de Meirelles que les siens... Si le nouveau ministre parvient à sauver l'économie, il pourrait connaître un destin similaire à celui de l'ex-président Fernando Henrique Cardoso, dont les succès au même poste au début des années 1990 l'avaient conduit, deux fois de suite, à la présidence de la République fédérative du Brésil.
À gauche, le destin de Dilma Rousseff semble scellé et son retour à la vie politique hautement improbable. Son mentor Luiz Inácio Lula da Silva, lui, caresse toujours le rêve de faire un come-back, ainsi qu'il l'avait imaginé dès la désignation de sa dauphine. Toutefois, son image sort sérieusement dégradée des années de crise économique et surtout de l'affaire Lava Jato dans laquelle son nom pourrait ressurgir. L'hypothèse Marina Silva, candidate écologiste à la présidentielle de 2014 (elle avait obtenu 21 % au premier tour) et membre de l'Église évangélique, n'est pas exclue quoique considérée peu probable par les analystes et politologues brésiliens.
L'avenir est fait d'incertitudes. Dès lors, la seule question qui vaille est la suivante : combien de temps le pays mettra-t-il à se remettre de l'impeachment, tant du point de vue politique qu'économique ? Seule certitude : en 1992, après la destitution du président Fernando Color de Mello, le Brésil avait mis deux ans à rebondir. Rien ne dit qu'il en sera de même cette fois-ci. Mais, pour une nation dont l'optimisme est une marque de fabrique, la comparaison mérite d'être envisagée.

(1) Henrique Eduardo Alves, 67 ans, avait été nommé à ce poste en avril 2013. Il l'a retrouvé le 12 mai, après l'enclenchement de la procédure de destitution contre Dilma Rousseff. Membre du PMDB - tout comme le président par intérim Michel Temer -, ce « dinosaure » politique a été élu onze fois député depuis 1971. Il a présidé la Chambre des députés de 2015 à 2013.
(2) Cinquième pays du monde par sa superficie et sa population (203 millions d'habitants), le Brésil est doté du neuvième PIB mondial (1 561 milliards d'euros en 2015).
(3) Dans le magazine hebdomadaire Istoé du 27 avril 2016.
(4) Le terme BRIC est apparu pour la première fois en 2001 dans le rapport d'un banquier de Goldman Sachs qui désignait le groupe informel formé par quatre pays émergents : Brésil, Russie, Inde, Chine. Repris par les médias, il a ultérieurement été complété par la lettre S, pour South Africa, en 2011. En raison de sa croissance économique et du caractère démocratique de ses institutions, le Brésil a souvent été surnommé le « meilleur élève des BRIC » ou « des BRICS ».
(5) La Coupe des Confédérations est une compétition internationale de football créée en 1992 qui précède d'un an le Mondial et est organisée dans le pays où celui-ci va se tenir, comme une forme de répétition grandeur nature. Outre l'équipe nationale du pays hôte du tournoi et l'équipe championne du monde en titre, elle met en présence les champions continentaux des six confédérations de football : Afrique, Europe, Asie, Océanie, Amérique du Sud, Amérique du Nord et Caraïbes.
(6) Depuis février 2015, il est sénateur.
(7) Président du PSDB depuis 2003, Aecio Neves, 56 ans, a été successivement député (1987-2003), gouverneur (2003-2010), puis sénateur (depuis 2011) de l'État du Minas Gerais, dont la capitale est Belo Horizonte. Il a présidé la Chambre des députés de 2001 à 2002.
(8) Condamné une première fois à sept ans et onze mois de prison pour corruption passive dans l'affaire du « mensalão », José Dirceu l'a été à nouveau, en mai 2016, dans l'affaire Petrobras. Il a écopé de vingt-trois ans de prison pour blanchiment d'argent.
(9) Membre du Parti du Mouvement démocratique brésilien (PMDB) et de l'Église évangélique de l'Assemblée de Dieu, cet économiste âgé de 58 ans a été élu député dans la circonscription de Rio de Janeiro sans discontinuer depuis 2003. Le 5 mai 2016, il a été démis de ses fonctions par le Tribunal suprême fédéral (STF) dans le cadre de l'affaire Lava Jato.
(10) Entretien avec l'auteur, 31 mars 2016. Tales Ab'Saber a notamment publié, en 2010, Lulismo, Carisma Pop e Cultura Anticrítica, Éditions Hedra, non traduit.
(11) Jair Bolsonaro puise sa lointaine inspiration auprès de l'Action intégraliste brésilienne (AIB), mouvement d'inspiration fasciste fondé en 1932 à Rio de Janeiro, qui était alors la capitale du pays.
(12) Gouverneur de l'État d'Alagoas (Nordeste du pays) de 1987 à 1989, Fernando Color de Mello est devenu président de la République en 1990. Accusé de corruption, il a fait l'objet d'une procédure de destitution. Pour s'éviter la honte d'une destitution, il a démissionné le 29 décembre 1992 avant que la procédure n'arrive à son terme. Ironie de l'histoire : à nouveau élu en 2007 en tant que sénateur d'Alagoas sous l'étiquette du microscopique Parti rénovateur travailliste brésilien (PRTB), qu'il a fondé, l'ex-président fait partie des parlementaires qui ont voté pour la destitution de Dilma Rousseff.
(13) Fondation Institut Fernando Henrique Cardoso (FIFHC).