Les Grands de ce monde s'expriment dans

Qui dirige le Liban ?

À la fin du mois de mars 2011, le Liban retient son souffle. Dans la Syrie voisine, la fronde contre le régime de Bachar al-Assad s'amplifie. La répression aussi. Le pays du Cèdre, qui entretient avec son voisin des relations historiques et dont les forces politiques sont pour partie pro-Assad et pour partie anti-Assad, redoute d'être happé par la spirale syrienne. Cinq ans plus tard, Beyrouth vit toujours au rythme de la guerre qui se déroule de l'autre côté de la frontière. Sur la scène politique, où le clivage demeure vis-à-vis de Damas, le rapport des forces joue en faveur du Hezbollah, puissamment engagé aux côtés du pouvoir syrien. Même s'il n'est pas épargné, loin de là, par la violence liée au conflit syrien, et s'il peine à absorber les très nombreux réfugiés que cette guerre a précipités sur son territoire, le pays a jusqu'ici échappé à une déstabilisation majeure. Il n'empêche : le Liban apparaît comme un navire à la dérive.
Les institutions semblent au bord de l'effondrement. Les blocages s'accumulent : pas de président depuis plus de deux ans, un Parlement qui se réunit a minima, un gouvernement incapable de décider... En jouant le jeu de l'attentisme face à la crise syrienne - dont l'issue est susceptible de les renforcer ou de les affaiblir -, les leaders communautaires menacent d'amener le pays à un point de rupture.

La faillite des institutions

L'interminable vide présidentiel
La Constitution libanaise prévoit que le président est élu par le Parlement. Mais depuis la fin du mandat de Michel Sleimane, en mai 2014, les sessions parlementaires dédiées à l'élection de son successeur sont ajournées les unes après les autres. Le triste record des années de guerre, quand le poste est resté vacant pendant deux ans (de 1988 à 1990), a été battu. Les candidatures à la fonction qui reste, symboliquement, la plus haute charge de l'État, dévolue par tradition à un responsable chrétien maronite, ne manquent pourtant pas : les plus sérieuses, au premier semestre 2016, sont celles de l'ancien chef de l'armée Michel Aoun, allié du Hezbollah, et du chef féodal Sleimane Frangié, proche ami de Bachar al-Assad et néanmoins postulant adoubé par Saad Hariri, opposant au régime syrien. En outre, les noms de deux candidats non déclarés circulent régulièrement : ceux de Riad Salamé, président de la Banque centrale, et de Jean Kahwagi, commandant en chef de l'armée. Mais ce n'est pas la pléthore d'aspirants à ce poste - qui a perdu bon nombre de ses prérogatives mais conserve une autorité au moins morale - qui explique l'incapacité des députés à désigner un président. Dans les faits, les séances parlementaires (1) sont boycottées par le Hezbollah, peu pressé de mettre fin au vide présidentiel ; par ses alliés chrétiens, obstinés à emporter l'élection de Michel Aoun ; ainsi que par plusieurs autres petits partis pro-syriens. Le nombre de députés frondeurs est suffisant pour repousser l'échéance. Car pour que la séance dévolue à l'élection du président de la République soit déclarée ouverte, 86 députés, soit les deux tiers de la Chambre, doivent être présents. Surtout, les deux principaux rivaux qui dominent le jeu politique ont investi le vote d'une autre dimension : pour le Hezbollah, principal acteur du blocage, il s'agit d'obtenir des garanties pour une plus grande représentativité de la communauté chiite (2). Quant à Saad Hariri, chef sunnite du Courant du Futur (3), il espère, en soutenant le candidat pro-syrien Sleimane Frangié, obtenir en contrepartie de revenir sur le devant de la scène. Pour ne rien arranger, la présidentielle est devenue une carte à jouer pour les puissances étrangères qui s'affrontent dans la région (4). En tout état de cause, en l'absence de président, la crise de confiance se prolonge.
Un premier ministre impuissant et un Parlement improductif
C'est donc le gouvernement qui assume les fonctions du président (5). Apparu comme un homme providentiel lors de sa nomination en 2013, qui faisait suite à une autre crise - gouvernementale, cette fois -, le premier ministre Tammam Salam s'était donné une mission modeste : conduire le pays vers des élections législatives, qui n'ont pas eu lieu (6). Désormais, son mandat a pris un caractère bien plus solennel : il est celui qui doit maintenir vivant, coûte que coûte, le gouvernement et, par là, éviter au Liban d'entrer dans une zone inconnue. La Constitution ne prévoit pas de mécanismes en cas de double vide, présidentiel et gouvernemental. Tammam Salam, politicien aux vues modérées, issu d'une célèbre famille politique beyrouthine, et qui entretient de bonnes relations avec l'Arabie saoudite (7), n'a pourtant qu'une faible marge de manoeuvre. Les réunions de son gouvernement de coalition, qui n'a vu le jour qu'en 2014 (8), durent des heures pour accoucher d'une souris, tant les dissensions sont profondes. Et cela, alors que le pays est confronté à de graves défis : menace djihadiste à ses portes, crise économique, poids des réfugiés syriens... En agitant à plusieurs reprises la menace d'une démission, Tammam Salam a réussi à faire rentrer dans le rang les ministres les plus récalcitrants (9). Mais il a aussi perdu, ce faisant, une partie de son crédit.
Les mêmes ublocages paralysent le Parlement. En dehors des réunions de commissions ou des convocations pour l'élection présidentielle, les députés, qui détiennent depuis des années un triste record d'improductivité, ne se rassemblent plus pour légiférer. Sauf quand ils sont poussés par l'urgence : fin 2015, les élus se sont entendus pour voter une loi sur le blanchiment d'argent. Faute de quoi, les subventions au Liban risquaient d'être bloquées (10).
Les députés ont autoprorogé leur mandat à deux reprises, dans des conditions douteuses. En 2013 puis en 2014, ils ont invoqué des problèmes de sécurité pour différer la tenue d'élections législatives. En réalité, chaque bord politique préfère temporiser avant de se rendre aux urnes, persuadé que c'est l'issue de la crise syrienne qui va dicter le rapport des forces. Le président du Parlement, Nabih Berri (11), assure que des élections législatives auront lieu en 2017.

Les véritables détenteurs du pouvoir

Les manoeuvres des leaders communautaires
Par contraste, l'effritement des institutions met en relief le poids des leaders politiques communautaires, habituels arbitres du jeu politique. Pour le politologue Ali Mourad, « le réel pouvoir est entre les mains de ces chefs » : Walid Joumblatt (12) chez les druzes, Hassan Nasrallah (13) ou Nabih Berri chez les chiites, Saad Hariri chez les sunnites, Michel Aoun et Samir Geagea (14) chez les chrétiens. Divisés, ces responsables trouvent des terrains d'entente quand ils sont fragilisés. Face à la crise des ordures née à l'été 2015, qui a donné lieu à un vaste mouvement de contestation (nous y reviendrons), ces leaders, plutôt que d'utiliser des outils de gouvernance - enclencher des réformes ou élaborer un plan rationnel de sortie de crise -, ont entamé un « dialogue national » censé susciter l'apaisement dans le pays alors que les manifestations provoquent des tensions, mais dont le but véritable était de préserver leurs positions. De façon significative, ce « dialogue » se tient au Parlement, mais aussi à la résidence privée du chef du pouvoir législatif. À l'instar des tractations pour choisir un président, qui se jouent dans les salons des politiciens, arcanes parallèles du pouvoir.
C'est aussi à travers un mécanisme parallèle que les responsables tentent de contenir les tensions entre les communautés sunnite et chiite (15), exacerbées par la guerre en Syrie et par la participation du Hezbollah au conflit aux côtés du régime de Bachar al-Assad. De manière générale, les chiites libanais sont favorables au pouvoir de Damas tandis que les sunnites, eux, soutiennent l'opposition. Mais autant le Courant du Futur sunnite que le Hezbollah chiite veulent éviter le scénario d'un face-à-face mortel entre leurs partisans. C'est pourquoi leurs représentants se réunissent régulièrement pour mettre à plat les points de friction : gouvernance (les tractations autour de la présidentielle sont ainsi régulièrement évoquées, comme les blocages du gouvernement), incidents sur le terrain (16)...
Un rapport des forces favorable au Hezbollah
Pendant les premiers mois du conflit syrien, de nombreux observateurs ont parié sur un affaiblissement du Hezbollah au Liban. Mauvais calcul : le « parti de Dieu » est aujourd'hui l'acteur le plus puissant sur la scène politique interne. Certes, il ne compte que deux ministres au sein du cabinet de Tammam Salam ; mais c'est assez pour qu'il puisse, avec ses alliés, opposer si nécessaire son veto aux décisions du premier ministre et pour qu'il bénéficie d'une couverture gouvernementale (17). Sa participation à la guerre en Syrie, officialisée en 2013, va à l'encontre de la déclaration de Baabda adoptée en 2012 par le comité de dialogue national, dont fait partie le Hezbollah. Si cette décision continue d'alimenter les critiques, elle ne fait plus l'objet de controverses aussi virulentes qu'au début : fin mai, Hassan Nasrallah a annoncé que son parti allait renforcer sa présence en Syrie (où il a déployé jusqu'ici au moins 5 000 hommes), sans susciter de réaction majeure parmi ses opposants.
Le poids du Hezbollah, parti armé, dans le processus de prise de décision au Liban peut être illustré par un épisode qui remonte au printemps 2014. Alors que les combats font rage dans le massif montagneux du Qalamoun, à la frontière libano-syrienne, entre d'un côté le régime syrien et ses alliés, de l'autre les rebelles, Beyrouth décide de secourir un village situé à l'extrémité du territoire libanais, à proximité immédiate des combats : Toufayl. Or les derniers kilomètres qui mènent vers cette localité isolée sont tenus par des positions du Hezbollah et non plus par des forces armées nationales. Pour intervenir, c'est au parti chiite que le gouvernement est obligé de s'adresser. Celui-ci finit par donner son feu vert et ouvre brièvement la voie avant de resserrer ses barrages et de poursuivre ses opérations côté syrien...
Aujourd'hui, le Hezbollah continue de contrôler une partie des frontières libanaises avec la Syrie. L'armée n'a pas la capacité d'être déployée tout le long de ce front. Et le mouvement que dirige Hassan Nasrallah entend défendre certaines de ses positions stratégiques dans la Bekaa.
Selon l'un des ténors de la vie politique libanaise, « le Hezbollah est rendu très fort par la guerre qu'il mène en Syrie ». Ses miliciens ont, en effet, acquis sur le terrain syrien une expérience militaire nouvelle après avoir d'abord mené une guerre de guérilla avec des méthodes similaires à celles utilisées contre Israël dans la lutte contre l'occupation du Liban-Sud (jusqu'en 2000) ou lors de la guerre de 2006 (18). Présents dans plusieurs régions de la Syrie, notamment sur le front d'Alep, ils possèdent désormais de réelles capacités offensives. Leur arsenal militaire, supérieur à celui de l'armée libanaise, s'est également étoffé, malgré les difficultés accrues pour le faire transiter, comme en témoignent les divers bombardements par Israël de convois d'armes fournies par l'Iran se rendant au Liban via la Syrie.
Pour justifier son engagement aux côtés du régime de Bachar al-Assad, le Hezbollah invoque la protection des lieux saints chiites comme le mausolée de Sayda Zeinab, dans la banlieue de Damas, ainsi que la lutte contre les « takfiris » (« ceux qui pratiquent l'excommunication », un terme utilisé pour désigner les fondamentalistes sunnites). Ses adversaires, ulcérés par son arsenal militaire et ses actions en franc-tireur, lui reprochent de transposer le conflit au Liban ; le parti rétorque que son intervention a été préventive et qu'elle a permis de prémunir le pays contre une infiltration massive des djihadistes. Le discours fait mouche au sein de ses partisans chiites : ils appartiennent à une communauté certes puissante au Liban mais minoritaire au Moyen-Orient, et qui se sent donc vulnérable. La montée en puissance, en Syrie, des groupes radicaux sunnites, à partir de 2012, a soudé la base chiite. Et les multiples attentats qui ont frappé la dahiyé (la banlieue) chiite, au sud de Beyrouth, en 2013-2014, mais aussi en 2015, ont renforcé sa « peur existentielle ». Revendiquées par des groupes extrémistes qui affirment agir ainsi en représailles après les opérations du Hezbollah en Syrie, ces opérations sont perçues, au sein de la communauté, comme des actes de violence aveugle anti-chiite.
Sans soutenir obstinément le Hezbollah, des membres d'autres confessions, notamment parmi les chrétiens, toutes tendances politiques confondues, accordent également au parti ce rôle de « protecteur » face à la menace djihadiste.
Les vulnérabilités du parti de Dieu
Mais l'engagement du Hezbollah, parce qu'il s'étend sur la durée, rend aussi le parti plus vulnérable. Et cela, d'autant plus qu'il n'a pas la possibilité de sortir de la crise : c'est l'Iran qui dicte sa présence en Syrie. Les jeunes chiites libanais paient un lourd tribut à cette guerre : entre 800 et 1 300 morts, selon des estimations. Des pertes qui donnent lieu à des critiques croissantes au sein de la communauté chiite, même si elles ne s'expriment pas publiquement. À titre de comparaison, en dix-huit ans de lutte contre l'occupation israélienne du Liban-Sud (19), le Hezbollah a perdu près de 1 400 hommes.
La Syrie a également coûté au « parti de Dieu » des combattants de premier plan qui ont forgé son identité. Ainsi, la mort de Moustapha Badreddine, considéré comme son chef des opérations militaires en Syrie, lui a porté un coup sévère. Jugée in absentia par le Tribunal spécial pour le Liban (20) pour l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, cette figure énigmatique était aussi accusée d'avoir orchestré plusieurs autres attentats, comme ceux qui ont visé les ambassades de France et des États-Unis à Koweït City en décembre 1983. Sa mort, près de Damas, au mois de mai, montre que le Hezbollah opère sur un terrain qu'il ne maîtrise pas : l'hypothèse de « fuites » orchestrées par les renseignements militaires syriens, qui auraient permis la localisation de cet homme fort du Hezbollah (21), a été avancée par plusieurs experts.
Alors qu'il avait imputé à Israël l'assassinat en Syrie d'autres combattants importants et répliqué par des actions contre Tsahal, le Hezbollah a, cette fois, accusé des « groupes takfiris » d'avoir ciblé Moustapha Badreddine. Selon divers observateurs, c'est pourtant bel et bien l'État hébreu qui pourrait porter la responsabilité de l'opération. Mais si le « parti de Dieu » l'affirmait, il devrait alors venger la mort de son responsable militaire, au risque d'une escalade. Or le Hezbollah ne veut pas - et ne peut pas - combattre sur deux fronts à la fois - en Syrie contre les rebelles anti-Assad, et au Liban contre Tsahal...

Face au Hezbollah : des forces politiques affaiblies ou en transition

Pour le Hezbollah, maintenir le dialogue avec son principal rival, le leader sunnite Saad Hariri et sa formation (le Courant du Futur), est, on l'a vu, une nécessité vitale afin d'éviter une confrontation dévastatrice. L'ancien premier ministre (il a occupé ce poste de 2009 à janvier 2011) est toutefois en perte de vitesse. Il avait fait le pari d'une victoire rapide de l'opposition syrienne : mauvais calcul. Le long exil qu'il s'est imposé entre la France et l'Arabie saoudite de 2011 à 2016, qu'il a justifié par les menaces qui mettaient sa vie en péril, a entraîné une baisse de sa popularité, sa base s'étant sentie délaissée. Sa machine politique n'a désormais plus les mêmes moyens : il rencontre des difficultés financières majeures, au Liban et en Arabie saoudite (où il dirige le géant saoudien du BTP Saudi Oger). Des responsables sunnites, comme Achraf Rifi, ancien chef de la police qui s'est lancé en politique, lui reprochent sa mollesse face au Hezbollah. Au sein du Courant du Futur, les débats sont vifs sur le ton à adopter, entre « pragmatiques » et « faucons. » Les désaccords parcourent également la coalition dite du « 14 mars », forgée en 2005 autour de Saad Hariri (22). Elle porte le nom de l'immense rassemblement organisé cette même année, sur l'emblématique place des Martyrs au centre de Beyrouth, pour réclamer la fin de presque trente ans d'occupation syrienne et la vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri.
Le devenir de cette alliance, tout comme celui de sa rivale, la coalition du « 8 mars » (23) menée par le Hezbollah, dont le nom fait cette fois référence aux manifestations pro-syriennes massives de 2005, reste inconnu. Sur le papier, toutes deux existent encore. Mais, dans les faits, un début de remodelage de la scène politique semble enclenché. Principal leader chrétien au sein du « 14 mars », Samir Geagea, chef des Forces libanaises, une ancienne milice devenue parti politique, a défié Saad Hariri. Voyant ce dernier lui préférer un autre candidat à la présidentielle, le pro-syrien Sleimane Frangié (24), il s'est rallié à Michel Aoun en janvier. La « réconciliation » des deux frères ennemis, dont les combats (milice versus armée) fratricides ont laissé de profonds traumatismes au sein de la communauté chrétienne, ne tient cependant pas de la simple vengeance de Geagea à l'encontre d'Hariri. Elle a été précédée par plusieurs mois de rapprochement entre les courants de Samir Geagea et de Michel Aoun. Le constat des deux hommes est simple : les alliances qu'ils ont scellées avec les acteurs musulmans - les sunnites pour l'un et les chiites pour l'autre - ne leur ont pas permis de changer l'équilibre du système d'après-guerre, qui a marginalisé les chrétiens.
S'ils entendent mener ensemble la lutte pour les « droits des chrétiens », Samir Geagea et Michel Aoun affirment dans le même temps qu'ils n'ont pas quitté les coalitions qu'ils ont rejointes en 2005 (respectivement le « 14 mars » et le « 8 mars »). Hormis leurs dissensions sur la Syrie, ces alliances ne sont toutefois plus porteuses d'un projet politique clair. Selon un ancien ministre chrétien, en poste entre 2005 et 2009, « les deux axes qui ont dominé la scène libanaise pendant dix ans n'existent plus. Il est impossible de prédire ce qui va les remplacer. Les deux chefs chrétiens sont certes entrés en rébellion, mais les chrétiens n'ont plus leur mot à dire. Les chiites sont les plus forts aujourd'hui, avec le Hezbollah. Ce qui va se passer au sein de cette communauté - dissensions ? unité renforcée ? - va contribuer à redessiner l'échiquier politique et le rapport de forces. Ce qui est sûr, c'est que le Liban restera ingouvernable tant qu'on ne retournera pas à une division claire entre opposition et majorité, et que les deux communautés, sunnite et chiite, appartiendront chacune à des blocs adverses » (25).

Le poids des puissances étrangères dans la politique locale

Lors d'une visite à Paris, en mai 2016, le patriarche maronite Béchara Raï a appelé la communauté internationale à proclamer la « neutralité » du Liban afin de lui éviter « d'être entraîné dans les conflits régionaux et internationaux » - et cela, dans un contexte marqué par le face-à-face des deux grandes puissances de la région, l'Iran et l'Arabie saoudite. Pour les principaux leaders libanais, c'est l'affrontement entre Riyad (qui joue un rôle marqué au pays du Cèdre depuis les années 1990) et Téhéran (qui a « remplacé » Damas après 2005) qui explique l'absence de président. Pour ces leaders, c'est là une façon d'évacuer leurs propres responsabilités. Mais il est néanmoins indéniable que l'Arabie saoudite et l'Iran, qui se présentent comme « médiateurs » alors qu'ils ont plutôt un rôle de décideurs, ont leur mot à dire sur les dossiers libanais. Chacune de ces puissances affirme aujourd'hui que, pour trouver une issue à la crise présidentielle, la balle est dans le camp des politiciens locaux. Il n'empêche : Téhéran semble peu pressé que le vide prenne fin. En réalité, un règlement au Liban apparaît tributaire des développements de la confrontation Riyad-Téhéran qui se déploie en Syrie et au Yémen, mais aussi en Irak et à Bahreïn (26).
D'autres pays tentent aussi d'arbitrer les disputes libanaises, comme la France. Les États-Unis, en retrait au Proche-Orient, ont brièvement essayé de prendre l'initiative. Aucun n'est parvenu à dénouer l'imbroglio présidentiel.
Un Liban sous pression pour accueillir les réfugiés syriens
C'est sur le dossier des réfugiés que les puissances européennes se font le plus entendre. Depuis le début de l'afflux massif de Syriens sur le sol européen, à l'été 2015, les visites de responsables se sont multipliées : le premier ministre britannique David Cameron, la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini, le président français François Hollande, ont chacun délivré un mot de soutien, un rituel des « pays amis » de passage au Liban. Ils ont annoncé de nouvelles aides financières pour les réfugiés ou réitéré des promesses déjà exprimées auparavant. Vu de Beyrouth, le message est clair : les déplacés syriens - plus de 1,2 million de personnes - doivent rester au Liban. Si les autorités libanaises sont loin d'être irréprochables dans la gestion du dossier des réfugiés - accusations de détournement de fonds, absence d'une véritable stratégie... -, elles sont de plus en plus agacées par les critiques.
Officiellement, les Syriens n'ont pas le droit d'occuper un emploi, même s'ils sont nombreux à travailler au noir. Seule une minorité, parmi les enfants, est scolarisée. Le Liban ne reconnaît pas de statut légal aux réfugiés, mais il est le pays arabe qui accueille le plus grand nombre de déplacés syriens - qui s'ajoutent aux quelque 200 000 à 400 000 réfugiés palestiniens présents depuis des décennies.
Beyrouth, qui estime avoir assumé sa part de solidarité, n'a pas les moyens de faire face à une plus vaste présence. Les réfugiés représentent aujourd'hui entre un quart et un tiers de la population dans le pays. Début 2015, la décision du Liban de fermer ses frontières à de nouveaux réfugiés syriens avait été accueillie avec embarras par la communauté internationale.
Les Syriens dépendent en grande partie de l'aide étrangère. Dans les sphères du pouvoir, la crainte va grandissant que l'octroi de l'aide internationale dépende de l'ouverture du marché du travail aux réfugiés, dans un pays où le taux de chômage est évalué à environ 20 %. Un rapport des Nations unies sur les réfugiés nourrit aussi la peur - que n'hésitent pas à instrumentaliser certains responsables chrétiens - que des naturalisations soient imposées par des pressions internationales. Les autorités y sont opposées, comme l'a rappelé le premier ministre Tammam Salam.
Le Hezbollah dans le collimateur de l'Arabie saoudite
En février 2016, l'Arabie saoudite a suspendu un important programme d'armement destiné à l'armée libanaise. Ce don de 3 milliards de dollars, décidé fin 2013, devait permettre au Liban de recevoir des équipements fabriqués par l'industrie française. Riyad entendait ainsi contrer le Hezbollah en contrebalançant sa puissance militaire et en misant sur un gain politique au Liban en contrepartie de son aide à l'armée.
En privant Beyrouth de cette aide, puis en demandant - comme d'autres pays du Golfe - à ses ressortissants de quitter le Liban, l'Arabie saoudite a signifié sa colère à l'égard d'un pays où elle est en perte d'influence. Elle accuse le Hezbollah, allié de Téhéran, d'avoir mis la main sur le pays et estime que les institutions libanaises se plient aux volontés de l'Iran : si la diplomatie libanaise est confrontée à de difficiles exercices d'équilibriste, il est vrai que le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, est un allié du Hezbollah. Le ressentiment de l'Arabie saoudite vise également Saad Hariri, qui fut longtemps son protégé. Elle lui reproche aujourd'hui son immobilisme face au Hezbollah. Riyad, qui défend une ligne dure depuis l'arrivée au pouvoir du roi Salmane et n'a pas digéré l'accord sur le nucléaire iranien, semble vouloir accroître son poids dans la région. Mais ce pari est risqué : son rival iranien apparaît peu disposé à assouplir sa position.
Les États-Unis emploient eux aussi l'arme économique pour contrer le Hezbollah au Liban. Selon une loi américaine adoptée en décembre 2015, les institutions financières qui effectuent des transactions avec l'organisation sont passibles de sanctions. C'est un nouveau casse-tête pour le Liban : comment respecter les lois internationales tout en évitant une crise interne ?
L'armée au centre de l'attention internationale
Au milieu des crises d'ordre politique et économique que traverse le pays, l'armée apparaît comme la seule institution fonctionnelle. S'ils sont décidés à assécher les sources de financement du Hezbollah, les États-Unis sont en première ligne pour soutenir l'institution militaire, notoirement sous-équipée. Et cela, même si leur meilleur allié dans la région, Israël, est hostile à toute forme de renforcement de l'armée libanaise, au motif que les armes destinées aux militaires risqueraient de tomber aux mains du « parti de Dieu », bête noire de l'État hébreu. La contribution de Washington n'est pas nouvelle : voilà longtemps que les Américains encadrent sur leur sol les troupes d'élite libanaises. Mais depuis le début de la guerre en Syrie, et spécialement depuis 2014, les États-Unis soulignent qu'il est urgent de mettre en place une coopération accrue en matière de lutte anti-terroriste.
Quelques semaines après la prise de Mossoul en juin 2014 par l'organisation État islamique (EI), des combats violents éclatent à Ersal, une petite ville libanaise à la frontière avec la Syrie, devenue une base arrière pour les rebelles anti-Assad, aussi bien modérés qu'islamistes radicaux. Les affrontements opposent l'armée à des combattants du Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, et à des miliciens de l'EI. Les pertes sont lourdes, dans les rangs tant des militaires que des islamistes. L'éruption de violence, qui va vite retomber, est une piqûre de rappel : le Liban n'est pas à l'abri de la menace djihadiste. Or les Occidentaux veulent à tout prix éviter l'embrasement du pays.
C'est donc sur l'armée qu'ils parient. Dans les mois suivants, Washington, mais aussi Londres consolident leur aide à l'institution militaire. La France apparaît à la traîne par rapport aux États-Unis, malgré ses messages de soutien réguliers à l'armée et plusieurs programmes de coopération. Les forces libanaises, fortes de près de 70 000 hommes, aux capacités essentiellement défensives, sont considérées, depuis le retrait syrien en 2005, comme la colonne vertébrale du pays, même si leur neutralité a été mise en cause lors de différents épisodes comme la prise de l'ouest de Beyrouth par le Hezbollah en 2008 (27). Mais ces forces restent, malgré tout, le plus petit dénominateur commun dans un pays divisé. « L'armée est l'acteur majeur de la stabilité du pays, affirme un diplomate occidental. Elle doit être convenablement équipée pour pouvoir jouer un rôle politique. » Il n'est pas question, pour autant, de voir basculer le Liban vers un régime militaire ; il ne s'agit, répétons-le, que de renforcer le rôle de l'armée comme garde-fou.
L'année 2014 et les combats d'Ersal marquent aussi un tournant sur la scène nationale. À partir de cet épisode, les opérations que mène l'armée bénéficient d'un vaste soutien de la part de la classe politique. Certains leaders politiques ont pu, au cours des années passées, alimenter la polémique au sujet d'opérations militaires jugées favorables au Hezbollah (28) ; ils se font plus prudents. La menace djihadiste conduit les divers protagonistes à apporter un soutien total à l'armée afin que le pays n'implose pas. Par exemple, à l'automne 2014, les militaires écrasent un bastion d'extrémistes sunnites à Tripoli ; la rue sunnite exprime alors son ressentiment face à une « armée confessionnelle » (29) ; mais les leaders de cette communauté, eux, s'efforcent de calmer le jeu. Chaque chef communautaire dispose de réseaux au sein de l'armée, dont les officiers sont choisis sur une base confessionnelle (30).
Dans l'est du Liban, l'armée mène une guerre silencieuse. Sur un front d'une cinquantaine de kilomètres, dans les montagnes à la frontière avec la Syrie, elle tente de protéger le territoire contre toute infiltration djihadiste. Les accrochages sont fréquents avec les combattants extrémistes syriens. L'armée impose aussi un siège à Ersal (la cité frontalière où elle a affronté les djihadistes en juin 2014), verrouillée par de multiples barrages alors que des éléments djihadistes restent présents dans la ville. Dans le reste du pays, elle procède à des arrestations de « cellules terroristes ». Les camps informels de réfugiés, dans la plaine de la Bekaa, sont l'objet d'une surveillance resserrée, par peur d'infiltration de combattants. Mais cette pression, si elle suscite un vaste consensus au sein d'une société inquiète, accroît le ressentiment des radicaux sunnites qui accusent l'armée de faire le jeu du Hezbollah chiite.

Une crise de légitimité globale

Aux tensions communautaires s'ajoute un élan nouveau de contestation contre l'élite politique. À l'été 2015, pour la première fois depuis des années, des manifestations à Beyrouth rassemblent des dizaines de milliers de Libanais. La fronde naît de l'incapacité des autorités à résoudre la crise des déchets, causée par la fermeture de la principale décharge desservant la capitale et sa région. Cette incompétence apparaît comme un nouveau signe de l'incurie de la classe politique, incapable d'assurer les services de base : depuis la fin de la guerre, l'électricité reste rationnée et les coupures d'eau sont fréquentes l'été, dans un pays pourtant riche en ressources hydrauliques. Des experts vont plus loin dans les critiques : ils estiment que la crise a été sciemment provoquée par certains leaders politiques (31) pour accroître leurs intérêts dans ce marché juteux. La mobilisation, qui cristallise une colère diffuse au sein de la société, va pourtant retomber. Les meneurs (32) sont accusés de « complot » (33) par des responsables politiques qui jouent sur la peur d'une déstabilisation. Ils ne parviennent pas à étendre leur base et se déchirent. Il n'empêche : grâce à leur action, les accusations de corruption, de clientélisme et d'instrumentalisation politique éclatent au grand jour.
S'il est trop tôt pour parler de « réveil citoyen », plusieurs mouvements qui contestent les partis politiques en place se sont formés dans la foulée de la « révolte » de l'été 2015. Ils ont participé aux élections municipales de mai 2016 que les autorités avaient d'abord songé à reporter. Leurs représentants n'ont pas réussi à l'emporter, mais ils ont obtenu des scores significatifs, notamment à Beyrouth (34). Leur engagement annonce peut-être une évolution prochaine du paysage politique.
Les forts taux d'abstention enregistrés dans plusieurs régions lors de ces municipales illustrent le rejet de l'élite dirigeante ; mais la constitution de ces mouvements citoyens montre aussi que les Libanais refusent de sombrer dans le fatalisme. Il reste que, pour l'heure, les forces politiques traditionnelles n'ont pas de quoi s'inquiéter : la puissance du confessionnalisme, ainsi que les moyens financiers dont elles disposent suffisent encore à leur assurer le soutien d'une large majorité de leurs communautés respectives.

En guise de conclusion...

La faillite de l'élite politique a été nommément mise en cause par la Banque mondiale. L'institution financière internationale pointe également la corruption. « Au Liban, 40 % des marchés sont monopolistiques et le confessionnalisme sert les intérêts de la minorité dirigeante », déclare ainsi, en avril 2016, l'un des auteurs du rapport (35). Un an plus tôt, l'ancien ambassadeur britannique au Liban, Tom Fletcher, accusait « certains oligarques » de « ne rien faire puis de rendre responsables [de cet état] leurs opposants/une autre communauté/l'accord Sykes-Picot/Israël/l'Iran/l'Arabie saoudite ». Une voix isolée, tant les « pays amis » du Liban, diplomaties occidentales en tête, continuent de légitimer, au nom de la « stabilité » du pays, le système politique en place. Ce faisant, ils enterrent tout espoir de réformes et d'alternance. Le désaveu le plus cinglant de la classe politique est peut-être l'émigration des jeunes qui se poursuit. Faute de perspectives économiques, lassés par les tensions, près de 60 % des Libanais de 18-35 ans déclarent vouloir quitter le pays...
Pour que ces tensions politiques, attisées par les rivalités internes et externes, puissent être apaisées, le Liban peut difficilement faire l'impasse de réformes ou, à tout le moins, d'une remise à plat du système de redistribution du pouvoir hérité de l'après-guerre. Un doux rêve, pour l'heure. Mais alors que l'attention se porte toujours, au sujet du Liban, sur les bras de fer politiques et les incidents sécuritaires, d'autres thèmes sont tout aussi importants. Dans l'immédiat, la nécessité d'élaborer une stratégie visant à affronter les fléaux sociaux du pays - comme la pauvreté, le chômage ou les failles de la justice, facteurs de radicalisation, de frustration et de tensions - apparaît comme une priorité que devraient soutenir les puissances influentes au Liban. Pour qu'une dynamique de changement puisse s'enclencher, une autre génération est, aussi, à mettre en avant : celle des jeunes (sur)diplômés, désireux d'apporter des réponses aux difficultés de leur pays, mais privés d'accès, le plus souvent, aux fonctions de décision.

(1) Le Parlement libanais compte 128 députés. Depuis l'accord de Taëf, qui a redistribué le pouvoir à la fin de la guerre civile (1975-1990), la moitié des sièges est dévolue à des élus musulmans, l'autre à des députés chrétiens.
Le Hezbollah chiite compte 12 députés. Son allié chrétien du Courant patriotique libre (la formation de Michel Aoun) possède 20 sièges.
Dans le camp adverse, le Courant du Futur dispose de 26 députés. Les partis chrétiens Kataëb et Forces libanaises qui concouraient avec lui lors des dernières élections législatives, en 2009, ont 13 députés au Parlement.
(2) Le Hezbollah souhaite, pour les scrutins législatifs à venir, l'adoption d'une loi électorale basée sur la proportionnelle.
(3) Fondé par Rafic Hariri, le Courant du Futur (CDF) se définit comme un mouvement plus que comme un parti politique. Le CDF est officiellement laïque, mais il est dominé par les sunnites. Plusieurs membres de la famille Hariri font partie de sa direction. Président du CDF depuis l'assassinat de son père Rafic en 2005, Saad Hariri a dernièrement vu s'éroder son leadership à la tête de l'opposition anti-Hezbollah.
(4) Le bras de fer qui se joue au Liban oppose principalement l'Arabie saoudite à l'Iran. Les deux puissances affirment que le choix du président appartient aux Libanais. La candidature de Michel Aoun apparaît toutefois difficilement acceptable pour Riyad car l'ancien général a proféré à de multiples reprises des diatribes violentes contre le royaume wahhabite. Le nom de Sleimane Frangié avait à l'inverse semblé pouvoir recevoir l'appui de Riyad lorsque Saad Hariri a officialisé son soutien à sa candidature, fin 2015. Quant à l'Iran, il peut se féliciter que deux candidats issus de la coalition menée par le Hezbollah soient en lice. Mais Téhéran semblait encore, en juin 2016, soutenir l'option du blocage.
(5) Le président a essentiellement un rôle de garant de la Constitution. Il lui revient également de ratifier les décisions importantes : il promulgue les lois votées par le Parlement et nomme le chef du gouvernement désigné au terme de consultations parlementaires. Il a aussi un droit de regard sur les nominations administratives. Le mandat présidentiel dure six ans.
(6) Prévues en juin 2013, les élections législatives ont été reportées à la dernière minute. La décision couvait toutefois depuis des mois, pour des raisons plus politiques que sécuritaires (même si, pour auto-proroger leur mandat, les députés ont expliqué que l'organisation d'éventuelles élections aurait pu provoquer des dérapages, étant donné le contexte d'instabilité dans lequel se trouve le Liban du fait du conflit syrien). Le même scénario s'est reproduit en 2014, lorsque les élus se sont auto-prorogés une seconde fois.
(7) Élu député en 2009 sous l'étiquette d'indépendant, Tammam Salam conduit une politique centriste. Il est considéré comme un proche de la coalition dirigée par Saad Hariri. Le poste de premier ministre est réservé à un musulman sunnite, communauté à laquelle appartient M. Salam. Il avait été désigné en 2013 comme chef du gouvernement par une écrasante majorité de députés.
(8) Le gouvernement compte 24 ministres (dont le chef du gouvernement) en 2014. Deux appartiennent au Hezbollah, quatre au Courant patriotique libre, et deux autres au mouvement Amal (chiite, allié du Hezbollah). Dans le camp adverse, trois ministres sont issus du Courant du Futur (dont l'un a démissionné début 2016) et trois autres apparentés au parti chrétien Kataëb (deux d'entre eux ont annoncé leur démission le 14 juin 2016). À ceux-là, il faut ajouter deux autres ministres membres de la coalition de M. Hariri. La formation du druze Walid Joumblatt dispose de deux ministres. Trois autres sont affiliés à l'ancien président Michel Sleimane. Deux proches de Tammam Salam détiennent également des portefeuilles. Les Forces libanaises (chrétiens) dirigées par Samir Geagea ont refusé de prendre part à ce cabinet.
(9) À titre d'exemple, en juillet 2015, le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, issu du Courant patriotique libre (CPL), accuse M. Salam de chercher à accaparer l'État et les prérogatives du président. Le CPL mène alors une campagne violente au nom du « droit des chrétiens », destinée à défendre la candidature de Michel Aoun à la présidence, et à obtenir des nominations clés, comme celle du commandant de l'armée. M. Salam menace de démissionner si le blocage des ministres du CPL se poursuit. Plusieurs réunions du cabinet vont être ajournées, avant que le débat ne perde de sa vigueur. La candidature de Chamel Roukoz (un officier respecté, et gendre de Michel Aoun), soutenu par le CPL pour prendre les rênes de l'armée, finira par être écartée au bout de plusieurs semaines.
(10) La loi votée contre le blanchiment d'argent a permis au Liban de se maintenir aux normes du Groupe d'action financière (GAFI). Les prêts ou les dons de la communauté internationale qui parviennent au Liban sont destinés à diverses actions ciblées : aide aux réfugiés, éducation, santé... Pour être validées, ces subventions doivent être approuvées à la fois par le Parlement et par le gouvernement. Entre 2011 et 2015, l'Union européenne a financé des aides de près de 550 millions d'euros au Liban, dont la moitié destinée à l'aide humanitaire aux réfugiés syriens et aux communautés qui les accueillent.
(11) Né en 1938, Nabih Berri est à la tête du Parlement libanais depuis 1992. Ex-chef de guerre, il dirige le mouvement chiite Amal (allié du Hezbollah). Il est considéré comme un personnage clé dans la prise de décision au Liban.
(12) Ex-chef de guerre, Walid Joumblatt dirige le Parti socialiste progressiste (PSP), principale formation druze, dont il s'apprête à passer le flambeau à son fils Taymour. Il défend aujourd'hui une ligne centriste. Il est l'un des piliers de la vie politique libanaise.
(13) Âgé de 56 ans, Hassan Nasrallah est depuis 1992 le secrétaire général du parti-milice chiite Hezbollah. Il a participé à sa création et en est l'un des stratèges. Il vit dans la clandestinité depuis 2006 à cause des menaces israéliennes dont il est l'objet.
(14) Ex-chef de guerre, Samir Geagea est à la tête des Forces libanaises, qui sont un parti chrétien. Il est le seul chef milicien du temps de la guerre civile (1975-1990) à avoir été jugé et emprisonné (de 1994 à 2005), du temps de la tutelle syrienne.
(15) Selon des estimations, les communautés chiite et sunnite forment chacune 30 % de la population libanaise. Il n'y a plus eu de recensement officiel depuis 1932.
(16) Lors du lancement de ce dialogue, fin 2014, les deux formations souhaitent ainsi atténuer les tensions sectaires dans la région de la Bekaa. Frontalière de la Syrie, cette zone est l'une des plus affectées par les répercussions du conflit voisin.
(17) La déclaration ministérielle du gouvernement Salam, en 2014, a donné lieu à un bras de fer. Elle ne reconnaît pas expressément le « droit à la résistance » (contre Israël) comme l'aurait souhaité le Hezbollah, mais elle stipule le « droit des citoyens libanais à résister à l'occupation, à repousser les agressions israéliennes et à recouvrer les territoires occupés ».
(18) Aussi appelé la « guerre de 33 jours », le conflit oppose Israël au Hezbollah. Suite à l'enlèvement le 12 juillet 2006 de deux soldats de Tsahal par un commando du Hezbollah en territoire israélien, à la frontière avec le Liban, Israël répond en bombardant le Liban, provoquant des destructions massives. Les hostilités vont durer jusqu'au 14 août. Bilan, plus de 1 100 civils morts côté libanais, et plus de 4 000 blessés. Côté israélien, on déplore la mort de 162 personnes, dont 121 soldats et 41 civils.
(19) Au nom de la sécurisation de sa frontière nord, cible des opérations de la guérilla palestinienne active au Liban-Sud, Israël envahit cette région en 1978. Tsahal se replie ensuite dans une « zone de sécurité » qu'il établit dans le sud du pays du Cèdre. La gestion en est en partie confiée à une milice supplétive d'Israël, dirigée par des Libanais chrétiens. La résolution 425 réclame le retrait israélien. En 1982, le périmètre de la « zone de sécurité » est sensiblement étendu. L'occupation prend fin en mai 2000, suite à la guérilla menée par le Hezbollah et au ressentiment croissant suscité en Israël par la mort au Liban de jeunes soldats appelés dans les rangs de Tsahal.
(20) Créé en 2007 par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, le Tribunal spécial pour le Liban est chargé de juger les meurtriers de Rafic Hariri. Quatre membres du Hezbollah font partie, à l'ouverture du procès en janvier 2014, des accusés, avant que le nom d'un cinquième membre ne soit ajouté. Tous sont jugés in absentia et aucun n'a jusqu'ici été condamné. Le 1er juin 2016, le TSL a annoncé, de façon kafkaïenne, qu'il continuerait de juger Moustapha Badreddine, car il estime, malgré les funérailles publiques, ne pas avoir assez de preuves de sa mort.
(21) Selon des témoignages, le Hezbollah se méfie des soldats et officiers syriens. Il estime que la corruption dans les rangs de l'armée facilite les trahisons.
(22) Cette alliance rassemble, en juin 2016, le Courant du Futur, les Forces libanaises, les Kataëb et d'autres petits partis ou des indépendants.
(23) En juin 2016, le « 8 mars » réunit le Hezbollah, le Courant patriotique libre, Amal et d'autres petits partis, dont Marada (dirigé par Sleimane Frangié).
(24) Issu d'une famille féodale et ami d'enfance de Bachar al-Assad, Sleimane Frangié, 50 ans, dirige le parti Marada, essentiellement implanté dans sa région d'origine, le nord du Liban. Comme d'autres formations, ce parti a été, pendant la guerre civile, une milice. Les parents de Sleimane Frangié ont été assassinés pendant la guerre. Il avait alors douze ans.
(25) Entretien avec l'auteur en mai 2016 à Beyrouth.
(26) La Syrie est le principal terrain de cet affrontement aux racines politiques et confessionnelles. Téhéran apporte un vaste soutien économique et militaire au régime de Bachar al-Assad, tandis que Riyad finance des brigades rebelles, y compris les groupes salafistes d'Ahrar Al-Cham ou de Jeich Al-Islam. Au Yémen, l'Arabie saoudite est à la tête de la coalition en guerre contre les rebelles Houthis, cheval de Troie de Téhéran selon Riyad. En Irak, l'influence de l'Iran n'a cessé de s'étendre depuis la chute de Saddam Hussein en 2003. Dans les développements plus récents - la lutte contre l'organisation État islamique -, Téhéran est en première ligne. Elle forme des milices irakiennes et apporte un soutien militaire par le déploiement de forces ou du conseil. Au Bahreïn, l'Arabie saoudite est le pilier du pouvoir en place (celui de la famille sunnite Al-Khalifa), tandis que Téhéran appuie l'opposition majoritairement chiite.
(27) Invoquant la nécessité de maintenir la cohésion de la troupe, multiconfessionnelle, Michel Sleimane, alors commandant de l'armée, décide de rester à l'écart des combats meurtriers.
(28) Deux députés sunnites du nord du Liban, Khaled Daher et Mouin Merhebi, membres du bloc parlementaire du Courant du Futur (CDF), ont tenu à plusieurs reprises depuis 2011 un discours belliqueux contre l'armée, l'accusant d'obéir aux ordres du Hezbollah et d'être une force sectaire hostile aux sunnites. Khaled Daher a été rappelé à l'ordre par la direction du CDF pour de tels propos en 2014. D'autres déclarations sulfureuses n'ayant pas de lien avec l'armée ont valu à Khaled Daher d'être suspendu du bloc du CDF en février 2015. Mouin Merhebi a atténué ses critiques contre l'armée depuis les combats d'Ersal, tout comme le député Mohammed Kabbara.
(29) Ce n'est pas la composition de la base de l'armée (les soldats et sous-officiers de confession sunnite sont majoritaires, ils forment environ 38 % de la troupe) qui est alors mise en cause par de nombreux habitants des quartiers sunnites de Tripoli, mais la véhémence de la troupe, qu'ils comparent à son absence d'action contre les armes du Hezbollah chiite.
(30) Les principaux postes sont répartis sur une base confessionnelle : le commandant en chef de l'armée est issu de la communauté chrétienne maronite, le chef d'état-major est druze, le conseil militaire comprend également des généraux représentant les quatre autres grandes communautés du pays. À chaque sélection de nouveaux officiers, les postes sont répartis à égalité entre chrétiens et musulmans puis divisés entre confessions.
(31) Des activistes proches du mouvement de contestation mettent notamment en cause l'ancien premier ministre Saad Hariri ou le chef druze Walid Joumblatt. En l'absence de preuves, difficiles à obtenir, ils se basent sur des suspicions répétées au cours des années.
(32) Les manifestations sont portées par le mouvement « You stink » (« Vous puez », groupe de jeunes sans couleur politique, qui rassemble des libéraux ainsi que des militants proches de la gauche), par des collectifs d'activistes (le plus souvent, de jeunes militants d'inspiration de gauche), ainsi que par les communistes libanais.
(33) Les meneurs sont tour à tour accusés, selon leurs détracteurs (politiciens ou journalistes), d'être infiltrés par le Hezbollah, d'être des agents des diplomaties occidentales ou d'être financés par le Qatar... En un mot, de vouloir déstabiliser le Liban.
(34) À Beyrouth, le mouvement civique « Beirut Madinati » (Beyrouth, ma ville) a obtenu plus de 30 % des voix.
(35) « Liban. Promouvoir la réduction de la pauvreté et de prospérité partagée : diagnostic systématique pays », Rapport de la Banque mondiale publié le 1er janvier 2016.