Entretien avec Marcelo Rebelo de Sousa, Président de la République portugaise depuis mars 2016, par Mathieu de Taillac, correspondant du Figaro en Espagne et Patrick Wajsman, Directeur de Politique Internationale
Mathieu de Taillac et Patrick Wajsman - En janvier dernier, vous remportez la présidentielle au premier tour avec 52 % des suffrages face à cinq autres candidats. Le soutien que les partis de droite (PSD et CDS) vous ont accordé a-t-il été décisif dans cette victoire?
Marcelo Rebelo de Sousa - Je n'étais pas le candidat d'un parti. D'après la Constitution, le président de la République ne doit pas être le représentant d'un parti ou d'une coalition. Il est élu sur un projet pour un mandat de cinq ans. Mon projet est transpartisan et il est le fruit d'un engagement personnel. Il a su fédérer des électeurs de toutes tendances, des jeunes, des femmes, des gens qui habituellement ne votent pas... Plusieurs candidats indépendants se sont présentés. M. Sampaio da Nóvoa, arrivé deuxième, était soutenu par des petits partis d'extrême gauche et de la gauche radicale, par certains socialistes, par des éléments du Bloc de gauche, mais n'était pas, non plus, le candidat d'un parti. Deux membres du Parti socialiste ont concouru, mais aucun n'était le candidat officiel du PS. Quant au PSD et au CDS, ils ont hésité très longtemps avant de m'apporter leur soutien.
En fait, j'ai abordé cette élection - et c'est peut-être la raison pour laquelle je l'ai gagnée - avec un certain détachement. Je me suis lancé parce que j'ai considéré que c'était mon devoir de citoyen, sans savoir où cette aventure allait me mener. Ce n'était pas le but de ma vie. Cela pouvait arriver ou ne pas arriver. Et c'est arrivé.
M. T. et P. W. - Quels étaient les points forts de votre candidature ?
M. R. S. - C'était, bien évidemment, une candidature centrée sur le Portugal, comme toutes les autres d'ailleurs, mais aussi très pro-européenne et très atlantiste. Sur ce dernier point, je me suis clairement démarqué de mes adversaires qui ne partageaient pas mon intérêt pour les relations avec les États-Unis, le Canada et l'Otan. Ma proposition phare portait sur les consensus d'État. J'ai l'intention de les promouvoir en matière de défense nationale, de politique extérieure et de santé publique. Je m'attaquerai ensuite à la sécurité sociale et à l'éducation nationale, qui sont deux gros morceaux. Dans tous ces domaines, il faut s'efforcer de rassembler des consensus durables qui vont au-delà des législatures.
Le débat principal tournait autour de la politique d'austérité. Le centre droit, par prudence, jugeait qu'il était prématuré de relâcher l'effort. La gauche voulait, au contraire, prendre des mesures sociales en faveur de ceux qui avaient consenti les sacrifices les plus durs pendant les années de crise, quitte à prendre des libertés avec la réduction des dépenses publiques. J'ai essayé de trouver un équilibre. Je pensais qu'il fallait, certes, préserver les équilibres financiers, contrôler le déficit, la dette publique et la balance des paiements, mais aussi faire un geste en direction des plus vulnérables, notamment des personnes âgées, qui ont vu leurs retraites plafonnées voire réduites, et des fonctionnaires. C'est ce message d'équilibre qui a été consacré par le suffrage universel.
M. T. et P. W. - Quel genre de président serez-vous ? Vous avez dit souhaiter une présidence marquée par « l'affection, la proximité et la simplicité ». Est-ce votre feuille de route ?
M. R. S. - Je serai le président de tous les Portugais. J'aime écouter les gens, m'imprégner de leurs préoccupations. Ce n'est pas une stratégie de ma part ; cela fait partie de ma manière d'être et de vivre. J'ai compris à quel point il est important d'être proche de tout le monde. Je suis de plus en plus fier de ce peuple magnifique.
M. T. et P. W. - Le Portugal est passé par un plan de sauvetage. Le remède a été sévère mais le pays a échappé à la banqueroute et a renoué avec la croissance (+1,5 % en 2015). Quel jugement portez-vous sur la politique qu'a conduite Pedro Passos Coelho, qui fut premier ministre de 2011 à 2015 ? Y avait-il une autre voie possible ?
M. R. S. - Vous savez, quand on signe un mémorandum avec le FMI, la Commission européenne et la Banque centrale européenne, on n'a guère le choix : on s'engage à suivre le chemin qu'on vous propose. Un autre premier ministre, même socialiste, que M. Passos Coelho aurait fait exactement la même chose : il aurait dû appliquer à la lettre ce qui était prévu par le mémorandum. Aujourd'hui, certains disent : « Il y avait une option alternative. » Mais c'est faux : il n'y en avait pas.
Ce qu'on peut discuter, c'est le contenu de ce mémorandum. Tous les aspects de la réalité portugaise ont-ils été pris en compte ? Peut-être pas. Sûrement pas, à vrai dire. Tout le monde reconnaît, y compris au sein des institutions européennes, que la gravité de la situation du système financier avait été sous-estimée. On a regardé l'état des finances publiques, pas nécessairement celui des finances privées. De la même manière, les réformes structurelles ont été évoquées, mais sans entrer dans le détail. Le mémorandum insistait beaucoup sur les finances publiques, un peu sur les réformes structurelles et le système financier, et très peu sur l'économie, la croissance et l'emploi. Ensuite, est-ce que le gouvernement lui-même n'a pas exagéré certaines mesures en allant au-delà de ce que préconisait le mémorandum ? J'ai l'impression qu'il a parfois voulu accélérer la cadence pour anticiper la sortie de crise. N'oublions pas non plus qu'entre-temps l'Europe a connu une petite crise, ce qui n'a pas facilité sa tâche. Tous ces facteurs expliquent que les mesures de rigueur ont parfois dépassé les intentions de leurs prescripteurs.
M. T. et P. W. - Que pensez-vous de la déclaration de Passos Coelho : « Si jamais je dois perdre une élection pour sauver le pays, au diable les élections ! Ce qui m'importe, c'est le Portugal ! »
M. R. S. - C'est la réaction normale de tout homme politique sensé. Que penseriez-vous d'un dirigeant qui dirait : « Au diable …
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