Les Grands de ce monde s'expriment dans

Allemagne : pour une démocratie pugnace

La rumeur rapporte que Thomas de Maizière a un jour rencontré par hasard, à Berlin-Est, début 1990, une jeune physicienne est-allemande, de religion protestante comme lui, qui rêvait de faire de la politique dans sa patrie en voie de réunification. Il l'a recommandée à Helmut Kohl. Quelques mois plus tard, alors qu'elle venait d'être élue députée dans son Land de Mecklembourg-Poméranie, le chancelier, qui avait besoin d'Allemands de l'Est dans son gouvernement, lui confia son premier poste ministériel. Cette jeune femme s'appelait Angela Merkel.
Les Allemands parlent aujourd'hui de la « génération Merkel » qui commence en l'an 2000 et pourrait bien se terminer en... 2017 si la chancelière n'était pas candidate aux prochaines législatives, plombée qu'elle est par ses déconfitures électorales, notamment aux régionales de Mecklembourg-Poméranie le 4 septembre dernier et de Berlin le 20 septembre suivant. Parmi les noms qui circulent pour parer à cette éventuelle quoique encore improbable défection, le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière figure en tête de liste, devant ses collègues Wolfgang Schäuble (ministre des Finances) et Ursula von der Leyen (ministre de la Défense).
Thomas de Maizière est l'homme fort d'une chancelière qui s'est distinguée depuis 2015 par sa compassion envers les réfugiés syriens. Cette politique des bras ouverts et de la main tendue a valu à Angela Merkel une chute vertigineuse dans les sondages. Tout en restant proche de la chancelière, Thomas de Maizière s'est démarqué d'elle en proposant des mesures drastiques de reconduite aux frontières et d'expulsion vers la Grèce. S'il n'a pas encore réussi à enrayer le dérapage de son parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), du moins est-il le seul à avoir une stratégie.
Né en 1954 à Bonn, l'ancienne capitale ouest-allemande, élève des jésuites, docteur en droit, officier de réserve, Thomas de Maizière est le fils d'un général fondateur de la Bundeswehr. Quand il n'est pas dans son ministère flambant neuf à Berlin, il réside à Dresde. Après avoir été au service de deux bourgmestres successifs de Berlin-Ouest, il s'était, en effet, totalement investi à partir de 1990 dans la réunification et la reconstruction politique de l'Allemagne de l'Est. Il dirigea les chancelleries des Länder est-allemands de Mecklembourg-Poméranie et de Saxe - Land dont il fut par la suite ministre des Finances, de la Justice et de l'Intérieur. Appelé à la chancellerie fédérale en 2005 en tant que directeur, Thomas de Maizière a été nommé ministre fédéral en 2009. Il n'est pas seulement un juriste minutieux. Il réfléchit aussi aux questions d'éthique politique ainsi qu'à l'analyse du langage de la propagande, et suit de près l'évolution des mentalités dans son pays.
J.-P. P.

Jean-Paul Picaper - Peut-on repérer, parmi les réfugiés, les djihadistes munis de « vrais faux passeports » ?
Thomas de Maizière - Des passeports vierges volés en Syrie sont utilisés pour fournir de fausses identités à des ressortissants syriens ou originaires d'États voisins. Mais les numéros de passeport sont tous enregistrés dans une banque de données d'Interpol. Il est donc très facile de les identifier.
J.-P. P. - Comment votre coopération avec votre homologue français Bernard Cazeneuve se passe-t-elle ?
T. de M. - Nous sommes partenaires et amis. Mais une coopération étroite et amicale entre deux ministres ne garantit pas, à elle seule, une bonne coopération entre l'Allemagne et la France. Cela dit, nos services de sécurité respectifs savent que l'entente entre leurs deux ministres est bonne et cette harmonie déteint sur leurs propres relations. À tous les niveaux - politique, police et renseignement -, la coopération avec la France ne saurait être meilleure.
J.-P. P. - À vos missions traditionnelles s'en est ajoutée une nouvelle : la lutte contre les cyberattaques...
T. de M. - Nous cherchons, en effet, à protéger l'Allemagne des cyberattaques et, si celles-ci réussissent, à limiter les dégâts. En ce qui concerne la sécurité des réseaux gouvernementaux et la défense contre les attaques qui les visent, c'est le BSI (1) qui est compétent.
Nous avons créé un Centre national de contre-espionnage cybernétique dans lequel travaillent tous les services sous l'égide du BSI. Ce centre s'occupe également des attaques dont peut être victime l'industrie. L'Allemagne est l'un des premiers États de l'Union européenne à avoir adopté une loi de sécurité des techniques de l'information. Grâce à cette loi, nous indiquons aux utilisateurs d'infrastructures sensibles la manière de gérer leurs réseaux en toute sécurité. En même temps, ils ont l'obligation d'alerter le BSI en cas d'attaque afin que nous puissions leur porter assistance. Il est important qu'ils nous informent parce qu'une attaque sur une entreprise est fréquemment la preuve d'attaques similaires sur d'autres entreprises ou le prélude d'attaques ultérieures. Si nous ne sommes pas tenus au courant, nous pouvons difficilement organiser la riposte. Quand je parle d'infrastructures sensibles, je pense aux distributeurs d'énergie et d'eau, mais aussi aux organismes spécialisés dans la fourniture de moyens de paiement.
J.-P. P. - Vous avez critiqué les limites que les juges de la Cour constitutionnelle ont imposées à votre projet de surveillance d'Internet et des communications téléphoniques. Où en est ce bras de fer avec les juges ?
T. de M. - Le bras de fer est terminé car la Cour s'est prononcée (2). La Cour constitutionnelle a le dernier mot et le gouvernement se plie à sa décision. Ce qui ne m'a pas empêché de donner mon avis. En démocratie, on doit pouvoir donner son avis, même si le tribunal n'en tient pas totalement compte, aussi bien après le jugement que pendant les délibérations.
J.-P. P. - L'Allemagne est, comme la France, une cible privilégiée du terrorisme islamiste. Pour quelle raison ?
T. de M. - C'est l'ensemble …